Si Le Pen a pu s’approcher si près de l’Élysée, c’est parce que Macron a légitimé l’espace de pensée politique dans lequel peut s’exprimer sa diatribe, ce monde orwellien où les libertés sont sacrifiables, la critique de l’État dispensable et le racisme une question d’opinion. Je ne sais pas ce qu’il y a à fêter.
Emmanuel Macron est réélu président avec 58,8 % des suffrages face à Marine Le Pen.
Il est l’auteur d’un score de 27,6 % au premier tour, soit 37,9 % des inscrits ayant porté leur choix sur lui au deuxième tour, dont beaucoup par dépit et par crainte légitime de voir l’extrême droite accéder au pouvoir, faisant ainsi de lui l’un des présidents les plus mal élus de la Ve République.
Mais que célèbrent exactement ceux qui affectent la joie et l’euphorie du camp Macron aujourd’hui ?
Est-ce de n’avoir gagné l’élection que parce que Marine Le Pen, d’une nullité crasse sur les sujets économiques et géopolitiques, a servi comme prévu de parfait faire-valoir au jupitérien président ?
Est-ce d’avoir, pendant cinq ans, normalisé les cibles et l’idéologie de l’extrême droite au point que ses représentants aient pu, sans trembler, faire campagne sur la stigmatisation et la criminalisation de millions de nos concitoyens ?
Est-ce d’avoir, de casse sociale en destruction des corps intermédiaires, réduit le débat démocratique en France à un choix par défaut, dont le seul argument de vente du président réélu est d’être le « moins pire » ?
Oui, il y a bien une différence entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen : le premier se sert des structures du racisme pour imposer son pouvoir, quand la seconde rêve précisément du contraire.
Il y a bien une différence de nature comme d’intensité, entre le cynisme politique dans sa plus basique expression et l’idéologie fasciste qui, durant les 30 dernières années, n’a eu de cesse de progresser dans l’opinion politique française et ses relais de pouvoir : des « chaînes info » de premier plan désormais totalement acquises aux obsessions et aux schèmes racistes de l’extrême droite aux fonctionnaires qui, au sein même de l’État, utilisent leur influence et leur position pour imposer l’agenda raciste…
… des journalistes du service public qui ont, par faiblesse ou par connivence, participé à la normalisation et à la légitimation d’idéologies suprématistes en direction du grand public à l’abject opportunisme d’un gouvernement qui, pour quelques points de sondage et les louanges des islamophobes, n’a jamais hésité à systématiquement criminaliser, diaboliser, discriminer et exclure des millions de nos concitoyens musulmans…
Le racisme est un système rendu possible par la rencontre dans le réel entre l’adhésion idéologique des uns et la lâcheté, la connivence, la complicité et le cynisme des autres.
Les uns veulent établir dans la loi l’impunité des violences policières, les autres leur expliquent comment. Les uns proposent de déporter les musulmans. Les autres leur écrivent des fiches.
Et si Marine Le Pen a pu s’approcher si près de l’Élysée, c’est parce qu’Emmanuel Macron a légitimé l’espace de pensée politique dans lequel peut s’exprimer sa diatribe, ce monde orwellien où les libertés sont sacrifiables, où la critique de l’État est dispensable et le racisme une question d’opinion.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il avait un intérêt politique à le faire.
Comme François Hollande avant lui. Et Nicolas Sarkozy avant lui. Et tous ceux qui, avant l’existence de la honte et de la dignité en politique, ont jugé qu’il était plus facile de gagner une élection en misant sur la répulsion et l’exaspération des Français qu’en les rassemblant autour d’un projet unificateur, inspirant et porteur d’espoir pour l’avenir du pays.
Les pauvres, les Noirs, les Arabes, les immigrés et aujourd’hui les musulmans en font les frais. Mais cela cause du tort à l’ensemble de nos citoyens. Car quand on désigne une partie d’entre nous pour sa couleur de peau, son origine ou sa religion, ce sont au final les libertés de tous qui sont en danger, le peuple de tous que l’on divise et le pays de tous que l’on abîme.
Bien sûr, il n’est pas interdit d’espérer que, maintenant assis pour cinq ans de plus au pouvoir sans plus rien à prouver à l’électorat d’extrême droite, le président réélu le comprenne. Il lancerait alors un projet d’abrogation de la « loi séparatisme » qui n’a séparé que des citoyens de leurs libertés, nommerait une commission transversale et mixte chargée d’identifier les structures du racisme puis de formuler des recommandations pour les démanteler.
Les libertés fondamentales, comme les questions environnementales, feraient l’objet d’un plan prioritaire du gouvernement et, après tant de bons et loyaux services, on permettrait à Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa de « traverser la rue » vers de nouvelles opportunités à la mesure de leurs talents. Car les Français ne les méritent tout simplement pas.
Mais il n’est pas non plus interdit de comprendre que dans le monde réel, les années qui viennent sont un temps de résistance, de solidarité, d’organisation et de conscience politique, afin que, collectivement, nous tirions les leçons de décennies de laisser-faire face à l’extrême droite et que, plus jamais, l’un d’entre nous n’ait à voter autrement que pour un progrès.
C’est tout le bien que je nous souhaite.
Source: Algérie Black Liste