Des gazelles pour une belle princesse …
C’est au Metropolitan Museum of Art (MMA) de New York que se trouve ce magnifique « diadème aux gazelles ». Sur un cercle en électrum (mélange d’or et d’argent) – de plus d’un centimètre de haut – sont disposées quatre têtes de bovidés, une vraisemblablement de cervidé et quatre rosettes à pétales pointus.
Comme l’explique Åsa Strandberg dans son étude « The Gazelle in Ancient Egyptian Art » : « La gazelle se retrouve souvent ensemble avec le bouquetin et l’oryx. Certains égyptologues, manquant d’expertise, ont tendance à appliquer le terme de ‘gazelle’ aux trois… La gazelle, le bouquetin et l’oryx sont membres de différentes sous-familles de ‘bovidés' ».
Cela nous conforte dans le sentiment évident que nous avons que l’animal central n’est pas de la même espèce que les quatre autres… Sa tête surmontée de hautes cornes si particulières, avec leur courtes pointes horizontales, nous laisse à penser que ce peut être un cerf (d’où la dénomination parfois de « stag diadem ») ou encore un ibex, ou bien tout simplement une ‘grande’ espèce de gazelle.
Ses oreilles sont pointues, sa tête est très bien sculptée et laisse deviner les os du faciès. Le museau et les yeux sont très précisément rendus.
Nous ne pouvons à nouveau que nous émerveiller du sens aigu de l’observation et de la précision du travail des artisans orfèvres de l’antiquité.
De chaque côté de cette tête centrale se trouvent une fleur à huit pétales effilés et au pistil renflé percé en son cœur, puis une gazelle, plus fine aux cornes plus minces. Et, à nouveau, une fleur, puis une autre gazelle. Le schéma se reproduit, à l’identique, de l’autre côté. L’ensemble est ordonné de merveilleuse façon, tout en légèreté, les cornes conférant un aspect aérien.
Ce type de motif décoratif, qui représente la partie antérieure d’un animal, est qualifié de « protomé » ou de « protome ».
Dans « Jewels of the Pharaohs », l’égyptologue anglais Cyril Aldred décrit ainsi le diadème : « Cette couronne unique, constituée d’une bande d’électrum de 1,5 cm de large, perforée à l’arrière pour les liens d’attache, et montée avec des rosettes et des têtes d’animaux, semble avoir été faite en Égypte en grande partie sous inspiration asiatique, mais elle ne constitue pas une importation asiatique. Au cours de la XVIIIe dynastie, il est devenu à la mode d’employer, pour décorer les diadèmes des princesses et de celles qui n’ont pas tout à fait le rang de reines, des têtes de gazelle à la place de l’uraeus ou du vautour, attributs des principales reines. Cette couronne avec ses quatre têtes de gazelle peut être une partie du ‘trousseau’ d’une princesse étrangère envoyée par pharaon comme épouse pour consolider les liens diplomatiques de l’époque ».
On ne peut s’empêcher de rapprocher ce diadème de celui trouvé par des habitants de Gournah, en 1916, au Ouadi Gabbanat el-Gourroud (rive ouest de Louqsor), dans la tombe des trois épouses étrangères de Thoutmosis III. D’une grande beauté, il est orné en son centre, d’un couple de gazelles « protome » entourées de rosettes.
La question se pose de savoir à qui appartenait cette couronne aujourd’hui au MMA…
Malheureusement, aucune indication n’est donnée sur la princesse qui possédait une si belle parure… Et les informations sont approximatives sur le lieu de sa découverte : « Salhiya près d’Avaris, dans le Delta ».
Quant à sa « provenance » plus récente, en croisant certaines données, elle peut ainsi être retracée : elle a été achetée en Suisse, en 1968, chez Nicolas Koutoulakis, un marchand d’art, d’origine crétoise. Cet incroyable personnage habitait les beaux quartiers de Genève et avait « pignon sur rue » dans le trafic d’antiquités avec sa galerie d’art « Khnoum ». Koutoulakis venait régulièrement s’approvisionner en antiquités au Caire, accompagné de deux jolies femmes qui étaient vraisemblablement chargées ensuite de « passer » les objets. L’une d’elles surnommée Effie parlait couramment l’arabe et lui servait d’interprète. Il avait de nombreux contacts sur place, avait un flair incroyable, payait bien et ne posait jamais de question…
« Dans son dos, certains trafiquants du Caire l’appelaient ‘louchi’ à cause de ses yeux qui se croisaient : ‘Vous devez vous méfier lorsque vous marchandez avec lui, vous ne savez jamais où il regarde’ disaient-ils ! » Il semblerait ainsi que, pendant de nombreuses années, les plus belles pièces d’antiquités soient passées entre ses mains.
Si sur la fiche descriptive, il est bien indiqué « Purchased from Nicolas Koutoulakis, Geneva, 1968 », on trouve aussi « Purchase, Lila Acheson Wallace Fund, Inc. », puis : « Gift, 68.136.1-28 ».
Ainsi, il semble que ce soit la Fondation Lila Acheson Wallace qui se soit portée acquéreur de l’artefact et l’ait ensuite offert au MMA. Il faut rappeler que « les Wallace ont contribué généreusement à une grande variété de causes artistiques, culturelles et éducatives au cours de leur vie. Ils ont également veillé à ce que, après leur mort, leur fortune serve à la philanthropie. Les dons des Wallace ont bénéficié à de nombreuses institutions et leur héritage se poursuit aujourd’hui à travers le travail de la Fondation Wallace ».
S’il nous est impossible de savoir quelle princesse avait autrefois l’honneur de se parer de ce magnifique diadème, au moins avons-nous tenté de retracer une partie de l’histoire, plus récente, de ce si bel ornement…
marie grillot