Le 6 avril 1994, le président-dictateur du Rwanda, Juvénal Habyarimana, est tué dans un attentat contre son avion personnel. Ses fidèles de la majorité hutu entreprennent aussitôt le massacre de la minorité tutsie (10% de la population) et des hutus modérés.
En trois mois, 800 000 innocents sont massacrés à coups de machette. C’est l’un des génocides du XXe siècle définis comme tel par l’ONU, avec le génocide arménien, le génocide juif et le massacre de Srebrenica.
La fuite de très nombreux réfugiés et militaires vers les pays voisins entraîne la déstabilisation de l’Afrique des Grands Lacs. On estime que la succession de conflits issus de ce drame est à l’origine de plus de quatre millions de morts au Rwanda, au Burundi et surtout en République démocratique du Congo (RDC ou Congo-Kinshasa, ex-Zaïre). En 2006, l’insécurité y fait encore plus de mille morts par jour d’après Amnesty International… Clivages sociaux
Le Rwanda (capitale : Kigali) et son frère jumeau le Burundi (capitale : Bujumbura) sont deux pays atypiques en Afrique…
Anciennes colonies belges, comme l’immense Congo (ex-Zaïre) voisin, ils sont moins étendus que la Bretagne mais trois à quatre fois plus peuplés (environ 27 000 km2 et 9 millions d’habitants chacun). Leur isolement au coeur du continent noir, sur des hauts plateaux volcaniques, leur a permis d’échapper dans les temps anciens à la traite arabe et à la traite européenne. Cela, ainsi que la douceur du climat et la fertilité du sol, explique une densité de population très élevée.
Les habitants appartiennent au même groupe de population, la tribu des Banyaruandas. La seule division qui traverse ces pays – mais elle est de taille – est sociale. Depuis des temps immémoriaux, les Banyaruandas sont divisés en trois groupes que Ryszard Kapuscinski assimile à des castes :
– les éleveurs de bétail ou Tutsis (environ 14% de la population du Rwanda en 1994), qui composent la noblesse,
– les agriculteurs ou Hutus (85% de la population),
– les domestiques ou ouvriers, ou Twas (1% de la population) ; d’aucuns voient dans ceux-ci les derniers représentants de chasseurs pygmées.
La « Toussaint rwandaise »
Dans les années 1950, la situation se gâte du fait, en particulier, de la pression démographique. En quête de pâturages supplémentaires, les éleveurs tutsis grignotent les champs des agriculteurs hutus. Plus instruits que ces derniers, ils en viennent à réclamer l’indépendance dans le dessein de consolider leur suprématie.
Les colonisateurs belges, qui se sont appuyés jusque-là sur les Tutsis pour l’administration du royaume, s’inquiètent de leurs prétentions. Ils jugent l’indépendance prématurée et pour la différer, encouragent les revendications hutues. C’est ainsi que des Hutus ressortent un mythe scientiste selon lequel les Tutsis seraient des intrus venus de la région du Nil… et les invitent à y retourner ! La tension débouche le 1er novembre 1959 sur une révolution sociale, la première et la seule qu’ait connue le continent noir.
Cette « Toussaint rwandaise » se solde par des dizaines de milliers de morts. Un nombre équivalent de Tutsis se réfugient dans les pays voisins (Ouganda, Congo, Burundi). Ils s’installent dans des camps, au pied des hauts plateaux rwandais, dans la nostalgie de leurs pâturages et de leurs troupeaux. C’en est fini de la suprématie tutsie au Rwanda.
Par contre, au Burundi, où les Hutus tentent en 1972 de suivre l’exemple rwandais, l’armée réplique avec brutalité. 100 000 Hutus sont massacrés et les Tutsis conservent le pouvoir. Suite à ces événements, l’année suivante, un coup d’État amène au pouvoir au Rwanda le général Juvénal Habyarimana. Le pays est mis en coupe réglée par son clan.
Français et Américains s’invitent dans le conflit
Le 30 septembre 1990, dans l’Ouganda voisin, des militaires tutsis quittent leurs casernes et pénètrent au Rwanda en vue de récupérer la terre de leurs ancêtres. Ces exilés déterminés, convertis à l’anglais, attirent l’attention des Américains au moment où ceux-ci commencent à s’intéresser à l’Afrique…
C’est l’affolement à Kigali, dans le clan Habyarimana, où l’on commence à faire les valises. Mais voilà que le dictateur reçoit l’appui inespéré du président de la République française, François Mitterrand… Quelques centaines de parachutistes blancs dissuadent les Tutsis de Paul Kagamé de poursuivre plus avant leur offensive. Le régime est sauvé mais pas pour longtemps.
En prévision de l’ultime affrontement, que chacun sait inéluctable, le « Hutu Power » du dictateur forme dans tous les villages une milice hutue, les Interhamwe, ce qui signifie « Frappons ensemble ». Habyarimana porte aussi les forces armées rwandaises (FAR) de 5 000 à 35 000 hommes. Mais les militaires français doivent suppléer à tous les niveaux aux défaillances de cette troupe de bric et de broc.
Les combats reprennent en juillet 1992 au nord du pays et en février 1993, Paul Kagamé procède à une « épuration ethnique » dans la zone tenue par ses troupes. Des centaines de milliers de Hutus sont chassés vers Kigali.
La radio des Mille Collines lance de premiers appels au meurtre des Tutsis, qualifiés de « cancrelats ». A Paris, on commence à se rendre compte du danger et l’on décide de passer le relais à l’ONU.
Le 4 août 1993, les frères ennemis entament des négociations à Arusha, dans la Tanzanie voisine. 2500 Casques bleus sont déployés au Rwanda et les militaires français peuvent enfin se retirer.
Dans les pays anglophones de la région, cependant, les « conseillers » américains commencent à débarquer en nombre. La perspective d’une prise de pouvoir par les Tutsis anglophiles et l’éviction de la France ne seraient pas pour déplaire aux diplomates de Washington…
Le cauchemar
Le 4 avril 1994, la paix est signée à Arusha. A Kigali comme dans le camp de Paul Kagamé, beaucoup grincent des dents en regrettant d’être ainsi privés de leur victoire… C’est alors que survient l’attentat contre l’avion qui ramène d’Arusha le président Habyarimana et son homologue burundais.
Dès le lendemain, les militaires massacrent la Premier ministre, une Hutu modérée et les dix Casques bleus belges chargés de sa protection. Le clan Habyarimana et les extrémistes du « Hutu Power » mettent en branle le plan auquel, semble-t-il, ils songeaient depuis longtemps. Rien moins que l’extermination des Tutsis (et des Hutus modérés) avec le concours de toute la population.
Les souvenirs anciens, les peurs et les haines transmises de génération en génération guident le bras des assassins. Parmi eux, nombre d’ecclésiastiques prompts à éliminer les Tutsis réputés mauvais chrétiens.
Tandis que les Casques bleus et les étrangers plient bagage en toute hâte, les troupes tutsies du FPR entament leur marche vers Kigali où elles font leur entrée le 4 juillet 1994. Las, l’irréparrable a été accompli avec le massacre de pas moins de 800 000 gens de toutes conditions.
La France a pu évacuer en catastrophe les principaux chefs du « Hutu Power » responsables du génocide, en particulier la veuve Habyarimana. Taraudée par le remords de n’avoir pas su prévenir le drame, elle lance le 22 juin 1994 l’opération Turquoise en vue de pacifier ce qui peut l’être. 2 500 militaires débarquent à Goma, au Zaïre, et à partir de là établissent une « zone humanitaire sûre » dans le sud du Rwanda.
Par centaines de milliers, cette fois, ce sont des Hutus qui fuient la vengeance des Tutsis. Ils se rendent dans la province zaïroise du Kivu et à leur tour vont connaître la désespérance des camps. Des militaires et des miliciens hutus profitent aussi de l’opération Turquoise pour s’établir au Kivu et y répandre la guerre.
Le drame va déstabiliser durablement l’Afrique des Grands Lacs et en premier lieu l’immense et fragile Zaïre (ou République « démocratique » du Congo).
On évalue à plusieurs millions les victimes de ce conflit interminable qui fait encore, semaine après semaine, à l’Est du Congo, des milliers de meurtres, de mutilations et de viols…