Cameroun: Jules Denis Onana « qu’Eto’o avale la couleuvre et qu’on passe à autre chose »

Jules Denis Onana, l’ancien international camerounais aux 56 sélections a bien voulu accepter d’analyser pour Afrik-Foot, la situation particulièrement tendue entre la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) et le ministère des sports suite à la nomination de Marc Brys au poste de sélectionneur. L’ex-adversaire de Samuel Eto’o pour le poste de président de la Fecafoot a donné quelques conseils à son jeune frère dans cet entretien qu’il nous a accordé.

Par Yoro Mangara,

Jules Denis Onana, vous êtes quart de finaliste de la Coupe du monde 1990… Que reste-t-il de cet esprit guerrier des Lions Indomptables ?

(Rires) Déjà, il reste beaucoup de souvenirs au Cameroun et en Afrique. Cette qualification en quart de finale a permis au continent africain d’avoir 5 représentants à la Coupe du monde. On peut dire qu’on a fait bouger les lignes. Sinon pour nous, les acteurs, nous nous sommes retrouvés il y a une dizaine de jours pour dire adieu au Président de la Fédération camerounaise de football de l’époque, Albert Etotoke, décédé le 1er janvier dernier.

A cette occasion, nous avons organisé un petit match et nous avons évoqué certains souvenirs. Sur les 23 Lions présents en Italie, nous en avons perdu malheureusement 3 qui sont décédés (Louis M’Fédé, Benjamin Massing et Stephen Tataw, ndlr). Ce sont des souvenirs impérissables. Nous avons écrit une histoire que l’Afrique n’oubliera pas.

Avec le temps, on constate que cet esprit guerrier vous a quitté. Au Cameroun, on l’appelle « hemlé ». Comment l’expliquez-vous ?

Nous étions tous formés au pays, nous avions cette hargne, cette dignité, cette rage de vaincre. Même dans les matchs de quartier, ce côté « fight » on le voyait. Ce fighting spirit, nous l’avons toujours eu. Le football camerounais a toujours été un football de combat, de bagarre. Vous savez, chez nous, nous avons des ethnies de costauds…

Les Bassas ?

(Rires) Vous connaissez bien la géopolitique du Cameroun. On leur attribue ce caractère. Ils sont teigneux, n’abdiquent pas. Cet esprit était symbolisé par Kana Biyik. Il l’a transmis à Rigobert Song. Aujourd’hui, les choses ont changé. Beaucoup de nos joueurs ne connaissent pas ce football hargneux, ce football à la limite brutal. Ils sont nés en Europe, ou ont quitté le pays très tôt. Ça s’est ressenti à la dernière Coupe d’Afrique des Nations. Il y’a aussi les standards internationaux qui privilégient ce nouveau football moins brutal. C’est une évolution. Il faut que le Cameroun s’adapte.

“Je comprends qu’Eto’o soit jaloux de ses prérogatives en tant que président de la Fecafoot”

Justement, cet échec à la CAN a poussé les décideurs camerounais à ne pas renouveler le contrat de Rigobert Song…

Avec les résultats qu’il a obtenus, il fallait s’y attendre. Après, je crois qu’il n’est pas le seul responsable. Plusieurs mauvaises décisions ont été prises avant et pendant que « Rigo » était à la tête de cette sélection. En football, quand les résultats ne sont pas là, c’est l’entraîneur qui saute. Avant même la fin de la CAN, des rumeurs au Cameroun annonçaient que le sélectionneur ne serait pas conservé.

Un nouveau sélectionneur a été chois par le ministère des Sports mardi. La Fecafoot a dit niet. Elle fustige le fait qu’elle n’a pas été impliquée dans le processus de recrutement du technicien belge et veut nommer son propre staff…

La Fecafoot veut rester sur ses acquis, pouvoir nommer elle-même le sélectionneur du Cameroun et mener sa barque. C’est tout à son honneur. Après si on y regarde de plus près, la présidence, le chef de l’Etat lui-même dans un message à la jeunesse le 10 février avait annoncé la couleur. Compte tenu de tous les sacrifices que l’Etat fait, l’argent qu’il injecte dans le football et sans résultat, il fallait s’y attendre. L’Etat, pour une meilleure visibilité a décidé de tout centraliser. Ce n’est pas nouveau au Cameroun car c’est l’Etat qui paye les factures, les déplacements, les salaires des sélectionneurs etc. Nous ne sommes pas en Europe. Là-bas, les fédérations sont indépendantes financièrement. Du coup, elles sont libres.

Eto’o aura-t-il gain de cause dans ce bras de fer ?

Vous savez, je comprends qu’il soit jaloux de ses prérogatives en tant que président de la Fecafoot. Après, qu’un ministre des Sports nomme un sélectionneur, c’est courant. Ce n’est pas nouveau. Vous savez au Cameroun, tous les contrats des sélectionneurs étrangers sont signés par l’Etat, représenté par le ministre des Sports. Un ancien président de la Fecafoot (Iya Mohammed en 2007, ndlr) avait refusé de signer le contrat de l’ancien sélectionneur allemand Otto Pfister car n’étant pas impliqué au choix de ce dernier, mais cela n’avait pas empêché Pfister de signer son contrat et d’entraîner les Lions Indomptables. Donc je ne crois pas que les communiqués de Samuel Eto’o vont prospérer. La jurisprudence Pfister est là, il avait eu son contrat de deux ans. Je vous le rappelle encore une fois, en Afrique, c’est l’Etat qui paye les factures. Et si au Cameroun je dis bien, l’Etat recentre tout au niveau du ministère des sports, c’est que quelque part il y’a des choses qui n’ont pas été bien faites.

“L’Etat avait confié la gestion à la fédé, malheureusement les résultats ont été catastrophiques”

Eto’o parle d’ingérence alors que lui-même avait été accusé d’ingérence par certains médias lors de la dernière CAN. Selon certains médias, c’est lui, président de la Fecafoot qui animait les causeries, faisait les mises en place tactiques. Si c’est avéré, il a fait lui aussi de l’ingérence ?

Je ne me poserais pas en juge de ce que le président de la Fecafoot a fait. C’est vrai que des choses ont été décriées dans sa gestion, mais là, ce sont deux choses différentes. Maintenant, quand j’entends parler d’ingérence, on va trop loin. L’Etat, je me répète a toujours été présent dans la gestion du sport et du football en particulier. Il paye les primes, gère les voyages, tout, tout je dis bien. Il a juste récupéré la gestion d’une chose qui lui appartient. Il avait confié la gestion à la fédé, malheureusement les résultats ont été catastrophiques.

Donc la requête du président de la Fecafoot ne va pas prospérer au niveau de la FIFA ?

Je ne pense pas qu’il y’ait une requête. Si elle existe, elle ne va pas prospérer.

“L’Etat est dans son bon droit”

Vous aviez été l’adversaire d’Eto’o pour le poste de président de la Fecafoot, pourquoi aviez-vous refusé de le soutenir ?

Samuel n’est pas un ennemi. C’est juste que je ne me reconnaissais pas dans son programme. J’avais une approche différente. J’ai aimé le joueur qu’il était, j’aime l’homme aussi, mais nous n’avons pas la même vision du football. Nous sommes en démocratie, chacun est libre de soutenir le candidat qu’il veut. Il a remporté les élections et la vie continue.

Eto’o peut-il gagner ce bras de fer avec l’Etat ?

(Rires) Euh, il est assez intelligent pour savoir que, par moment, il faut savoir reculer. Il est normal de marquer son territoire, montrer sa personnalité. Mais ceux qui ont pris cette décision n’ont enfreint aucune loi, ils sont dans leur bon droit. C’est une couleuvre qu’il devra avaler, qu’il l’avale assez vite et on passe à autre chose C’est un bavardage inutile. L’équipe nationale du Cameroun appartient à tous les Camerounais, et il y a des échéances importantes qui nous attendent. J’espère que le Président de la Fecafoot va revenir à de meilleurs sentiments.

Komla
Komla

Je me nomme AKPANRI Komla, historien de formation, arbitre fédéral. Le journalisme est une passion pour moi plus précisément le journalisme sportif puisque je suis un sportif. Ayant fait une formation en histoire, j'aborde aussi des questions politiques, sociales et culturelles

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