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Alors que la présidentielle américaine approche à grands pas, Vladimir Poutine déclarait, le 5 septembre lors d’un forum économique à Vladivostok, apporter son soutien à la candidate démocrate Kamala Harris face à Donald Trump. Le président russe a ainsi assuré : «Je l’ai déjà dit, notre favori, si je puis dire, était le président en exercice, Joe Biden. Il s’est retiré de la course, mais il a recommandé à tous ses partisans de soutenir madame Harris. Donc nous ferons de même, nous la soutiendrons.»
Une sortie pour le moins contre-intuitive qui a bénéficié d’une importante couverture dans la presse y compris dans Libé où l’information a souvent été relayée, dans un premier temps du moins, au premier degré. Une heure après sa première dépêche sur le sujet, qui a été très largement reprise, l’AFP a publié une deuxième version, insistant désormais sur le «sarcasme» du président russe. Et précisant, dans un titre plus précis, que ce dernier s’exprimait «dans un sourire». De quoi relativiser le sérieux de la déclaration du leader russe, mais de nombreux médias n’en sont restés qu’à la première version.
Pourtant, l’hypothèse d’un «trolling», voire d’une volonté d’ingérence de la part de Vladimir Poutine est aujourd’hui largement défendue. D’abord parce qu’on trouve dans cette déclaration la phrase suivante, qui a tout d’une remarque ironique, prononcée devant un public et une présentatrice hilares. Au sujet de Kamala Harris, Poutine lance ainsi : «Elle a un rire si expressif et contagieux qu’il montre que tout va bien pour elle. Et je veux dire que Trump a imposé plus de restrictions et de sanctions à la Russie qu’aucun président ne l’avait fait auparavant. Et si madame Harris se porte bien, peut-être qu’elle s’abstiendra de faire quelque chose de ce genre.» Dans cette campagne pour la Maison Blanche, cette référence au rire de Kamala Harris n’est ni neutre ni laudateur. Elle relève même d’un clin d’œil évident aux électeurs de Trump, étant donné que ce rire, jugé trop démonstratif, est au cœur de moqueries teintées, notamment, de misogynie, ouvrant la voie aux accusations en hystérie.
Cette déclaration intervient, par ailleurs, dans un contexte d’accusations d’ingérence russe de la part des autorités américaines. Mercredi, le ministère de la Justice américain a annoncé des sanctions et des mesures pénales autour de l’action de la chaîne de propagande russe RT (RussiaToday), accusée de mener une campagne d’influence sur la population américaine dans le cadre des élections imminentes. Ainsi que l’écrit l’agence de presse AP, il apparaît que cette campagne était menée au bénéfice de Donald Trump, le ministre de la Justice Merrick Garland affirmant que «les préférences de la Russie n’avaient pas changé par rapport à la dernière élection». En 2016, puis en 2020, la Russie a déjà été accusée d’avoir mené une ingérence dans les campagnes présidentielles en faveur du candidat républicain, ce que le pouvoir russe a toujours nié.
Cité par USA Today, un responsable du Bureau du directeur du renseignement national (Odni) qui coordonne les efforts d’ingérence américaine dans les élections a déclaré que les déclarations de Poutine en faveur de Harris étaient un exemple de désinformation du Kremlin.
«Aider Trump par cette prise de distance»
Selon Vera Grantseva, politologue et chercheuse à Sciences-Po interrogée par la Dépêche, les intentions de Poutine sont claires : il souhaitait, par cette déclaration, «à tout prix prendre ses distances avec Trump car il constate qu’il n’est pas leader dans les sondages». Et donc essayer «de l’aider par cette prise de distance, même si cela est maladroit et peut sembler incohérent». Ce que Poutine a par ailleurs tout intérêt à faire, Kamala Harris se tenant fermement aux côtés de l’Ukraine dans le contexte de la guerre avec la Russie, tandis que Trump s’est montré critique des sommes engendrées par le soutien des Etats-Unis à l’Ukraine.
Un cadeau empoisonné, en somme, pour Kamala Harris. Donald Trump n’a d’ailleurs pas manqué de réagir à cette séquence à plusieurs reprises. Au Economic Club of New York, où il s’est d’abord montré mitigé, indiquant : «Je ne sais pas si je me sens insulté, ou s’il m’a rendu service.»
Dans un second temps, lors d’un meeting, il a finalement tranché, se disant «offensé» : «Je ne sais pas si vous avez vu l’autre jour, Poutine a apporté son soutien à Kamala Harris. Je suis très offensé par ça. Je me demande pourquoi il la soutient. C’est un joueur d’échecs. […] Personne n’a été aussi dur envers la Russie que Trump et personne ne le sait mieux que Poutine. Je vais vous dire, je terminerai cette guerre avant d’arriver même d’arriver officiellement à Maison Blanche.»
Ses soutiens, d’ailleurs, ne s’y trompent pas. A l’image de cet internaute trumpiste qui relève, au passage, la référence au rire de la rivale démocrate : «“Son rire est si fascinant…” Poutine soutient Kamala Harris. Il sait qu’elle est faible et qu’elle détruit le pays. Regardez la grimace sur son visage. Pourquoi soutiendrait-il le président Trump, qui savait garder la Russie hors d’Ukraine ?»
A noter que cette affaire du vrai-faux soutien du président russe à Harris fait suite à une précédente fake news autour d’une rencontre entre la candidate démocrate et Vladimir Poutine. En août, Donald Trump a lui-même, à deux reprises, affirmé que Kamala Harris avait rencontré le président russe juste avant la guerre en Ukraine, au mois de février 2022. Lors d’un meeting en Caroline du Nord, il a déclaré : «Rappelez-vous quand le président Biden a envoyé Kamala en Europe pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Elle a rencontré Poutine pour lui dire “Ne le faites pas.” Et trois jours après, il a attaqué. Voilà comment ça a commencé.»
Puis, lors d’une interview, il a cette fois indiqué que Biden avait envoyé Kamala Harris en Russie rencontrer Vladimir Poutine.
Or, si Kamala Harris s’est bien rendue en Europe mi-février (plus précisément à Munich en Allemagne où elle a fait des déclarations pro-Ukraine), aucun élément ne permet d’attester d’un voyage en Russie, encore moins d’une rencontre avec le président russe.