Tchad : La descente au enfer de Succès Masra

Succès Masra, une figure de l’opposition tchadienne, a connu un retournement de situation spectaculaire, passant d’un rôle clé dans la transition politique à celui de prisonnier politique. Son parcours met en lumière les tensions persistantes dans un pays fragilisé après quatre ans de pouvoir militaire.


L’histoire de Masra, président du parti Les Transformateurs et ancien Premier ministre, est celle d’un homme qui a regagné le Tchad après son exil grâce aux Accords de Kinshasa. Il a accepté de devenir Premier ministre, avant de démissionner juste avant l’élection présidentielle de mai 2024, remportée au premier tour par Mahamat Idriss Déby Itno.

Boycott et critiques d’une transition contestée
En octobre 2024, Masra a vivement critiqué le régime militaire lors du deuxième anniversaire des manifestations du 20 octobre 2022. Il a dénoncé des élections truquées, où les règles du jeu sont faites pour favoriser le pouvoir en place. Il a qualifié les législatives de décembre 2024 de « caution à un régime de type apartheid » et a appelé au boycott.

Pour son parti, le boycott a été un « échec retentissant » pour la transition, montrant que les Tchadiens ne sont pas dupes. Masra a alors demandé une « nouvelle transition », basée sur une véritable démocratie et des élections honnêtes.

Des gestes d’apaisement suivis de tensions
Début 2025, Masra a lancé un appel à la jeunesse pour qu’elle s’engage pour le bien du pays. En janvier, il a surpris tout le monde en acceptant la « main fraternelle » tendue par le président Déby, affirmant sa volonté de collaborer. Ce revirement est arrivé après plusieurs mois de contestation des résultats de la présidentielle.

Pourtant, lors du septième anniversaire de son parti en mai 2025, Masra a une fois de plus demandé à Déby de « changer de cap » et d’appliquer l’Accord de Kinshasa. Cela a provoqué une vive polémique avec des membres du gouvernement, qui l’ont accusé de « réécrire l’histoire » et lui ont rappelé que la démocratie, c’est aussi « savoir perdre avec dignité ».

Arrestation, procès et accusations

Le 16 mai 2025, Masra a été arrêté chez lui. Il est accusé d’avoir incité à des violences en mars 2024 à Mandakao, qui ont causé des morts. Le parquet général l’accuse d’incitation à la haine, de révolte, d’incendie volontaire et même de complicité d’assassinat. Son parti a qualifié l’arrestation d' »enlèvement ».

Le 30 juillet, la justice a décidé de le renvoyer devant la chambre criminelle. Son avocat, Me Saïd Larifou, dénonce un procès « politiquement motivé », sans preuves solides, et a demandé à la communauté internationale de suivre l’affaire de près.

Le procès a débuté début août, et le parquet a requis 25 ans de prison ferme contre Masra et 58 autres accusés. Masra rejette ces accusations, parlant d’une « machination politique ». Le parquet se base notamment sur un enregistrement audio où il aurait appelé à prendre les armes.

Un pays fragile à la croisée des chemins
Cette affaire judiciaire survient dans un Tchad qui sort d’une transition militaire de quatre ans. Le pays, malgré le retour des institutions, reste fragile, avec des tensions internes et des difficultés économiques. La répression contre Masra montre les défis qui attendent le pays en matière de démocratie et de droits politiques.

Masra, qui a été au cœur des manifestations sanglantes de 2022 et principal opposant à l’élection présidentielle de 2024, est au centre des fractures entre un pouvoir ferme et une opposition affaiblie mais toujours active. Son sort est désormais entre les mains de la justice, dans un contexte politique où l’avenir du pays est en jeu.

Daniel GABA DOVI (stagiaire)

Komla AKPANRI
Komla AKPANRI

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