Les opposants à Recep Tayyip Erdogan accusent le président turc de chercher à détourner l’attention des difficultés économiques de la population en réclamant l’expulsion des ambassadeurs de 10 pays alliés, dont le représentant de la France, une perspective qui peut encore être évitée selon des diplomates.
Recep Tayyip Erdogan a annoncé samedi avoir ordonné à son ministère des Affaires étrangères de déclarer « personae non gratae » dix ambassadeurs en raison de leur appel à la libération immédiate de l’homme d’affaires Osman Kavala.
Le ministère des Affaires étrangères n’avait toujours pas appliqué dimanche les instructions du président turc, susceptibles de déclencher la plus grave crise diplomatique avec les pays occidentaux depuis son accession au pouvoir il y a 19 ans.
L’annonce présidentielle intervient alors que les investisseurs s’inquiètent de la chute de la livre turque après la décision inattendue prise jeudi par la banque centrale de Turquie, sous la pression de Recep Tayyip Erdogan, d’abaisser de 200 points de base son principal taux directeur.
La livre turque a perdu la moitié de sa valeur face au dollar depuis 2018.
Kemal Kilicdaroglu, chef de file du Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l’opposition, a accusé le chef de l’Etat d' »entraîner rapidement le pays vers le précipice ».
« La raison de ces initiatives n’est pas de défendre les intérêts nationaux mais de créer des causes artificielles à la ruine de l’économie », a-t-il écrit sur Twitter.
Yavuz Agiralioglu, l’un des dirigeants du Bon Parti (IYI), autre formation d’opposition, a pour sa part déclaré: « Nous avons déjà vu ce film. Revenez sans tarder à notre véritable agenda et au problème fondamental de ce pays, la crise économique. »
LES DIPLOMATES CHERCHENT « UNE FORMULE PLUS ACCEPTABLE »
Sinan Ulgen, président du centre de réflexion Edam et ancien diplomate turc, a jugé que le moment choisi par Recep Tayyip Erdogan pour réclamer l’expulsion de ces ambassadeurs était mal choisi alors que la Turquie s’efforce depuis plusieurs mois de recalibrer sa diplomatie pour tourner la page des tensions des dernières années avec ses alliés.
« Je continue à espérer qu’Ankara ne mettra pas cela à exécution », a-t-il écrit sur Twitter, qualifiant la volonté exprimée par Recep Tayyip Erdogan d’initiative sans précédent entre alliés de l’Otan. « Le corps diplomatique travaille dur pour trouver une formule plus acceptable. Mais le temps presse. »
Le président turc est coutumier des menaces non suivies d’effets.
En 2018, il avait annoncé que la Turquie boycotterait les produits électroniques américains lors d’une querelle avec Washington et l’an dernier, il a appelé ses concitoyens à boycotter les produits français pour dénoncer la politique « anti-islam », selon lui, d’Emmanuel Macron. Dans les deux cas, les échanges commerciaux n’ont pas été perturbés.
Selon une source diplomatique, une décision au sujet des 10 ambassadeurs pourrait être prise lors d’un conseil des ministres lundi et un apaisement est possible étant donné les inquiétudes relatives aux potentielles conséquences diplomatiques d’une telle initiative.
Recep Tayyip Erdogan doit rencontrer son homologue américain Joe Biden lors du sommet du G20 le week-end prochain à Rome.
Emre Peker, du cabinet londonien Eurasia Group, a déclaré que la menace d’une expulsion d’ambassadeurs à un moment où l’économie turque est confrontée à « des défis énormes est au mieux mal avisée et au pire un pari stupide pour redresser la popularité en chute libre d’Erdogan ».
« Erdogan a besoin de donner une impression de puissance pour des raisons de politique intérieure », a-t-il ajouté, en soulignant qu’une expulsion d’ambassadeur entraînait généralement des représailles équivalentes de la part du pays visé. « Cela promet des relations de plus en plus difficiles avec Washington et l’UE. »
Geopolitique