France : Interview de Pierre Moscovici avec La Tribune sur l’économie française « En cas de censure, notre crédit serait atteint »

Le président de la Cour des comptes française, Pierre Moscovici, s’est entretenu avec « La Tribune Dimanche » au sujet des finances publiques de la République française. Des dis fonctionnent ont été relevés.




ENTRETIEN — Plaidant pour la réduction des déficits et la maîtrise de l’endettement, Pierre Moscovici propose que les prévisions du ministère des Finances soient validées par une autorité indépendante.


LA TRIBUNE DIMANCHE — La Cour des comptes a-t‑elle chiffré l’ampleur de la moins-value induite par les concessions de Michel Barnier  ?


PIERRE MOSCOVICI — Non. Les compteurs ne sont d’ailleurs pas arrêtés. Compte tenu de la complexité du débat parlementaire, la réalité du budget demeure incertaine. Mais je veux rappeler la finalité de l’exercice, parfois un peu perdue de vue  : non seulement la France doit avoir un budget, mais il faut que ce soit un bon budget. Or un bon budget, c’est un budget qui réduit nos déficits et maîtrise notre endettement. Notre dette [plus de 3 200 milliards d’euros] représente plus de 110% du PIB  ; cette dette génère elle-même une charge de remboursement annuelle de quelque 70 milliards d’euros l’année prochaine  ; il y a quatre ans, c’était 25 - l’équivalent du budget du ministère du Logement -, cette année, c’est 53 - le budget de la Défense -, l’an prochain ce sera presque le budget de l’Éducation nationale, c’est‑à-dire le premier budget de l’État.


Cela paralyse l’action publique et nous interdit d’investir dans l’avenir. Il faut absolument marquer maintenant un point d’inflexion net et renverser cette tendance. On sait que la dette ne diminuera pas avant 2027. Mais pour ce faire, il faut d’ores et déjà entamer un fort ralentissement. Et pour cela, réduire les déficits. Je tiens à le dire, parce que c’est le rôle institutionnel de la Cour des comptes, vigie des finances publiques. Nous avons besoin de reprendre le contrôle de nos finances publiques. La cible de 5% doit rester l’objectif de cette discussion budgétaire.


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Michel Barnier en a-t‑il les moyens  ? Les circonstances politiques n’empêchent-elles pas la France de maîtriser son budget  ?
Je ne suis pas naïf, je connais la politique, et je connais l’équation politique. Un  : le Premier ministre, arrivé tardivement, a présenté un budget d’urgence à un socle commun qui n’est ni majoritaire ni homogène. Deux  : ce budget marque la volonté bienvenue de renverser la tendance. Trois  : Michel Barnier a eu raison de laisser la discussion se faire sans déclencher tout de suite le 49.3. Dit autrement, le Premier ministre fait ce qu’il peut. Pour autant, tout cela rencontre une limite connue depuis le départ  : le budget ne peut être voté que si le gouvernement évite la censure du RN.
«  II y aura une tempête  » en cas de censure, a mis en garde Michel Barnier. Reprenez-vous ces mots à votre compte  ?
Je ne sais pas si cela provoquerait une tempête, mais en tout cas un sérieux coup de vent. Notre crédit serait atteint. Quand on examine objectivement les différents scénarios, on voit qu’il ne faut pas tomber dans le catastrophisme, mais pas non plus se rassurer à bon compte.
Le coût de notre dette est désormais plus élevé que celui de la dette grecque.
Marine Le  Pen vous a accusé d’avoir accrédité l’hypothèse d’un shutdown à l’américaine…


À tort  ! Je n’ai jamais dit que le shutdown était probable  ! Même si théoriquement le risque existe, il peut et doit être conjuré, car la Constitution et les lois organiques sont bien faites. Soit le débat va au-delà de son terme, ce qui est encore une possibilité, et le budget n’est ni voté ni refusé  ; à ce moment-là, le gouvernement peut promulguer un budget par ordonnances. Ce n’est pas la voie qui a été prise, je pense du reste que ce ne serait pas la bonne. Deuxième scénario  : dans l’hypothèse d’une censure, le Parlement peut voter une loi spéciale qui autorise le gouvernement à prélever les impôts, et les dépenses sont exécutées sur la base de l’année précédente. Ceux qui seraient prêts à censurer le gouvernement ont déjà dit qu’ils voteraient une telle loi.
L’État ne fermera donc pas boutique  ?
Ce ne serait pas l’apocalypse, mais ce ne serait pas anodin. Dans cette hypothèse, il y aurait une augmentation d’impôts pour des Français modestes. Puisque le barème de l’impôt ne serait pas indexé sur l’inflation, environ 400  000 Français non imposables deviendraient redevables de l’impôt sur le revenu  ; plusieurs millions d’autres verraient leur impôt augmenter de manière significative. De nouveaux investissements, par exemple dans notre sécurité intérieure ou extérieure, seraient différés. Et les déficits s’aggraveraient fortement. Les expédients pour éviter le shutdown existent, mais ils sont extrêmement coûteux. Sans parler de l’impact sur le moral des Français de ce qui ressemble quand même à un supplice de Tantale.



À quelle hauteur les marchés financiers pourraient-ils nous le faire payer ?
Les différentiels de taux d’intérêt avec nos partenaires deviendraient plus élevés. Aujourd’hui, ils ont fortement crû avec l’Allemagne. Le coût de notre dette est désormais plus élevé que celui de la dette grecque. Cela dégrade notre crédit et notre crédibilité, et pourrait s’aggraver.
Vendredi soir, pourtant, Standard & Poor’s a maintenu sa note inchangée (AA-). N’est-ce pas là un signe rassurant ?


Cela montre la confiance, méritée, qui demeure dans la solidité de la France. Mais aussi la conscience que les délais pour le retour vers des finances publiques plus équilibrées risquent d’être plus longs que prévu, et la crainte de l’incertitude politique.
Comment nos partenaires européens, que vous connaissez bien, nous regardent-ils ?
Il y a toute une mythologie en France sur la Commission européenne, artisane supposée de l’austérité. C’est totalement faux : la Commission, et c’est le sens de l’avis rendu cette semaine, n’a aucune volonté de nuire à la France, au contraire. Elle comprend les conditions de température et de pression, y compris politiques. En revanche, elle est légitimement exigeante sur le fait que la France doit inverser, et avec netteté, le cours expansionniste de ses finances publiques.

Non contente d’avoir fait céder Michel Barnier, Marine Le Pen lui donne des leçons de bonne gestion : « On nous annonce des annulations de hausse sans nous donner le financement. »
Il ne serait pas pertinent d’ajouter un coup de rabot brutal aux concessions qui ont été faites. Mais la trajectoire des finances publiques est pluriannuelle. Cette année, il était probablement inévitable, compte tenu du délai très court d’élaboration du budget, d’avoir un effort fiscal substantiel. En revanche, pour les années suivantes, il faudra basculer sur un autre mode : le mode économies en dépenses. Je souhaite qu’une fois passé le cap de ce PLF on se mette tout de suite collectivement dans la préparation des années suivantes, et la Cour des comptes comme le Haut Conseil des finances publiques sont prêts à y contribuer. Il ne faut pas tomber dans le catastrophisme, mais pas non plus se rassurer à bon compte. De quelle manière ?

Komla AKPANRI
Komla AKPANRI

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