Une étude a exploré le lien entre l’inflammation chronique, le système immunitaire et le développement du cancer, notamment dans les intestins.
Les chercheurs ont identifié un mécanisme par lequel certaines cellules immunitaires, en particulier un sous-type de lymphocytes TH17, peuvent contribuer à la formation du cancer, bien que ce processus puisse être inhibé par des molécules produites par les cellules épithéliales. Cette découverte soulève des questions sur l’usage prolongé des immunothérapies qui stimulent ces lymphocytes et ouvre la voie à de nouvelles thérapies préventives ciblant ce sous-type pour réduire le risque de cancer.
Près d’un cancer sur trois se développe à la suite d’une inflammation chronique, dont l’origine reste incomprise. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de l’université Claude-Bernard Lyon 1 et du Centre Léon Bérard au Centre de recherche en cancérologie de Lyon[1], ont identifié des lymphocytes impliqués dans les processus inflammatoires et qui seraient en cause dans la génération de ces cancers. Ce travail ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques et de prévention. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Immunology.
Environ 30 % des cancers apparaissent à la suite d’une inflammation chronique localisée. C’est notamment le cas de certains cancers colorectaux, de l’intestin grêle, du foie ou encore du pancréas. De nombreuses questions demeuraient toutefois en suspens pour mieux comprendre le développement de ces cancers. Une ou plusieurs cellules immunitaires sont-elles à l’origine du processus inflammatoire conduisant aux cancers ? Si oui, de quelles cellules s’agit-il ?
Répondre à ces interrogations est l’un des objectifs de Julien Marie[2], directeur de recherche à l’Inserm, et de son équipe au Centre de recherche en cancérologie de Lyon (Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard Lyon 1/Centre Léon Bérard) afin de mieux comprendre la manière dont la maladie est initiée.
Les chercheurs et chercheuses se sont intéressés tout particulièrement à une population de cellules immunitaires, les lymphocytes TH17, qui sont déjà connus pour être impliqués dans de nombreuses maladies inflammatoires, comme la sclérose en plaques ou encore la maladie de Crohn.
L’hypothèse était que les lymphocytes TH17 ne constituent pas une population homogène, mais qu’ils peuvent en fait être divisés en plusieurs sous-groupes. En utilisant des approches dites de « séquençage de l’ARN à cellule unique », les scientifiques ont démontré cette hétérogénéité des cellules TH17 au sein de l’intestin.
« Plus précisément, dans cette étude, nous montrons pour la première fois qu’il existe en fait huit sous-types de lymphocytes TH17 ayant des rôles distincts. L’un d’entre eux a un rôle tumorigénique, c’est-à-dire que lorsque certains freins d’activation sont levés, il va contribuer au développement de cancers. Au contact de ces cellules TH17, les cellules de l’intestin qui étaient pourtant saines jusqu’ici vont devenir cancéreuses », explique Julien Marie.
Les scientifiques ont ensuite montré que cette population tumorigénique est accrue chez des patients à fort risque de cancer. Enfin, ils ont aussi identifié qu’une protéine, la cytokine TGF-β, est capable d’inhiber la formation des TH17 tumorigéniques.
« Cette étude peut interroger les cliniciens sur l’utilisation, sur une période longue des immunothérapies chez des patients atteints de cancer, un traitement qui vise à stimuler les lymphocytes », souligne Julien Marie.
En effet, si ces thérapies ont transformé la prise en charge en oncologie, elles sont aussi connues pour entraîner de l’inflammation chronique intestinale. Il est donc important de s’interroger, pour un patient donné, sur les risques que l’immunothérapie s’accompagne de l’émergence de lymphocytes TH17 tumorigéniques qui pourraient à terme donner lieu au développement d’un autre cancer. Par ailleurs, cette étude pose les bases pour le développement de nouvelles thérapies préventives du cancer en bloquant l’apparition du sous-type de TH17 mis en cause par les scientifiques dans ce travail.
[1] Ont également participé à ces travaux des scientifiques de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier).
[2] Julien Marie est lauréat du Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française. Créé par la fondation Bettencourt Schueller en 2000, ce prix a récompensé 78 laboratoires français et plus de 900 chercheurs jusqu’en 2021.
Futura-Sciences