La Belgique souhaite surfer sur le succès de l’application CovidSafe pour remplacer le système Be-Alert par une sorte de WhatsApp belge.
Objectif est de mieux communiquer en cas de crise et réaliser au passage une jolie économie. Si l’intention est sans doute bonne, la réalisation pose question et inquiète.
Le système d’alerte
BE-Alert est un système d’alerte qui permet aux autorités de diffuser un message à la population en situation d’urgence. Une autorité, qu’il s’agisse d’un Bourgmestre (commune), d’un Gouverneur (province) ou du Ministre de l’Intérieur (national) peut, si elle l’estime nécessaire, alerter la population par ce biais et lui fournir des instructions.
Le système fonctionne sur la base d’un enregistrement volontaire des numéros de téléphone et utilise le protocole SMS.
Ce protocole présente des avantages indéniables, notamment la possibilité de cibler assez précisément le message sur le plan géographique. Par ailleurs, la simplicité du protocole le rend relativement stable et compatible avec tous les téléphones.
Ce protocole présente malgré tout des désavantages : d’une part il est limité aux caractères (pas d’image, son ou vidéo) en nombre limité. D’autre part il coûte cher : les opérateurs GSM facturent à l’État la communication.
C’est le journal La Libre qui le révèle l’information que le gouvernement planche sur un projet consistant à transformer le protocole de Be Alert, afin de substituer au bon vieux SMS un système calqué sur WhatsApp.
Avantages escomptés : des messages plus variés (son, image, vidéo, etc.) et une réduction des coûts.
La Libre révèle cette information au détour de l’interview de Frank Robben. Ce dernier explique que l’application sera prête d’ici deux semaines et qu’elle s’appuiera sur l’application CovidSafe. Selon le concepteur, le succès du nouveau Be-Alert devrait être fulgurant dans la mesure où 8,5 millions de personnes ont déjà téléchargé l’application CovidSafe.
Ce fonctionnaire (dont la compétence n’a jamais été remise en cause) n’est autre que l’architecte de toutes les bases de données de l’État belge depuis des décennies, au centre d’une vive polémique depuis deux ans : alors qu’il est le prestataire et le conseiller numéro 1 de l’État dans tous les projets informatiques, en particulier dans le domaine de la santé, il siégeait également au sein de l’autorité de protection des données.
Ce conflit d’intérêt manifeste a mis en lumière le fonctionnement très critiquable de l’autorité de protection des données, dont l’indépendance n’était clairement pas assurée structurellement.
La Commission européenne s’est fâchée, menaçant la Belgique d’une procédure en manquement devant la Cour de justice, ce qui serait affreusement humiliant …
M. Robben a finalement démissionné récemment de l’autorité, mais la nature exacte du marchandage politique n’est pas connue. On ne sait toujours pas aujourd’hui avec certitude si la Belgique sera ou non poursuivie car il reste d’autres problèmes d’indépendance, non solutionnés, dans lesquels M. Robben joue un rôle d’influence non négligeable.
Il y a ensuite le lien troublant avec CovidSafe : la nouvelle application va-t-elle réellement s’appuyer sur celle-ci ?
CovidSafe fait l’objet de nombreuses critiques. La réutilisation des données, leur conservation, l’accès par différents services publics, les interconnexions avec d’autres bases de données, les finalités … rien n’est clair au sujet de cette application qui a profondément divisé le pays. La prendre pour point de départ du nouveau système, envoie un message pour le moins troublant.
Les personnes qui ont téléchargé CovidSafe l’ont fait dans un contexte sanitaire bien particulier.
La réutilisation de cette plate-forme et des données dans un contexte élargi est-elle compatible avec la finalité de départ ?
La question mérite au moins d’être posée.
Il y a enfin l’opacité de ce nouveau projet.
On en arrive alors à la question centrale : quel est exactement le fonctionnement de ce nouveau WhatsApp belge et à quoi servira-t-il ?
Selon le journal, « L’idée est de capitaliser sur cette appli [CovidSafe] pour en créer une nouvelle, afin de communiquer des infos en matière de santé ». Par ailleurs, M. Robben justifie le projet avec des chiffres qui englobent de façon globale les communications liées à la santé au sens large.
On n’y comprend donc plus rien. S’agit-il uniquement d’un outil de gestion de crise, ou d’une plate-forme de santé, ou encore d’un mécanisme destiné à communiquer de façon plus large vers les citoyens ?
Lorsque le citoyen apprend par voie de presse l’existence d’un projet de cette ampleur, dont on comprend certes les grandes idées mais sans disposer de l’information de base, on ne peut que s’interroger.
Le malaise est d’autant plus perceptible que si la nouvelle application est disponible dans deux semaines c’est que, comme par le passé, le gouvernement (se) posera les questions de protection des données personnelles après la mise en service du système et non avant. Un peu comme si l’on n’avait rien appris de la crise récente de l’autorité de protection des données …