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La campagne ayant précédé l’élection du 47e président des États-Unis d’Amérique, le 5 novembre 2024, a tenu le monde en haleine, parce que l’enjeu était de taille : désigner celui ou de celle qui va présider, au cours des quatre prochaines années, aux destinées de la première puissance économique et militaire de la planète. Mais, combien de fois le mot Afrique a-t-il été prononcé pendant cette campagne par les deux principaux protagonistes, Donald Trump qui a finalement remporté le scrutin haut la main, et Kamala Harris son challenger ? Difficile de s’en souvenir du moment où les dossiers d’actualité chauds en matière de politique étrangère américaine concernent davantage la Chine, deuxième puissance économique derrière les États-Unis qu’elle veut détrôner et par conséquent, principal rival à endiguer selon la théorie du « Piège de Thucydide » qui est, en relations internationales, la stratégie par laquelle une puissance dominante entre en guerre avec une autre émergente qui menace de la déclasser. Il y a aussi l’Europe où l’élargissement vers l’Est de la plus grande alliance politico-militaire actuelle, l’OTAN, est mal vécu par la Russie, deuxième puissance militaire du monde (hors nucléaire car elle possède le plus important arsenal de têtes nucléaires). Enfin, les tensions au Moyen-Orient où les intérêts américains sont énormes. Au total, l’une des tendances bien connue a été confirmée pendant cette campagne.
À savoir, qu’aucun des candidats ne fait généralement des relations États-Unis-Afrique une priorité. D’ailleurs, une semaine avant le scrutin, lors d’une conférence en ligne organisée par le Département d’État, Amy Greene, spécialiste de la politique américaine et enseignante à Science Po, avait constaté que « l’Afrique est la grande absente et loin des préoccupations des candidats et des électeurs ».
Dans « Projet 2025 », un document de 900 pages édité par le Think Tank « Heritage Foundation » et destiné à servir de programme au nouveau président élu, la seule référence à l’Afrique, indique-t-on, « est la reconnaissance du Somaliland, une République autoproclamée de Somalie ». Jeffrey Hawkins, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et ancien ambassadeur des États-Unis en Centrafrique sous la présidence d’Obama, n’est aucunement surpris par ce manque de considération. Il croit en effet savoir que le peu d’intérêt accordé aux relations entre les États-Unis et notre continent est lié au fait que « l’Afrique n’a jamais réellement été le théâtre stratégique prioritaire de Washington ».
Et pourtant, les Américains sont bien présents sur le continent et conservent même un réseau diplomatique important. Mais, depuis neuf ans, aucun président américain n’a foulé le sol africain. C’est tout dire. En un mot comme en mille, le peu de place fait à l’Afrique pendant la récente présidentielle américaine doit une fois de plus interpeller ses populations (1,3 milliard sur 8 milliards de terriens) et ses dirigeants car c’est une quasi humiliation pour le berceau de l’humanité.
Levier d’influence, terrain d’opportunités économiques et champ des batailles diplomatiques entre grandes puissances et pays émergents qui lui consacrent des sommets internationaux spécifiques sous différents formats, l’Afrique, convoitée pour ses abondantes matières premières qui alimentent les usines des pays développés et ses métaux critiques nécessaires à la transition énergétique, occupe cependant une place marginale dans la gouvernance et l’échiquier mondial. Son poids économique dans les chaînes de valeur est à peine visible à l’échelle. Selon un rapport de la Commission économique pour l’Afrique publié en mars dernier, la part du continent dans le commerce mondial est restée inférieure à 3%. Une étude de l’Iris ajoute que les exportations africaines sont primaires à près de 80% (agriculture, forêt, mines, pétrole). Celles des biens manufacturés sont encore marginales et des produits de haute technologie résiduels. En outre, l’Afrique est à l’origine de seulement 1% de la production manufacturière mondiale et n’exporte qu’une part négligeable des services à haute valeur ajoutée. Traversée au moment des indépendances par des courants idéologiques antagonistes, l’Afrique n’a pas pu s’unir pour constituer un bloc fort après sa balkanisation et la colonisation. Elle est par ailleurs composée de plusieurs États lilliputiens qui ne font pas le poids face à des mastodontes.
Comment, dans ces conditions, être respecté par les gendarmes du monde, à l’heure du recul du multilatéralisme politique, illustré par le refus des puissances qui dirigent l’Onu à reformer cette institution pour prendre en compte par exemple le Japon, l’Allemagne, l’Inde ou l’Afrique comme membres permanents du Conseil de sécurité ? Le retour au pouvoir d’un président étasunien au logiciel isolationniste et à l’approche transactionnelle bien connus devrait renforcer cette interrogation. Les voix des 55 pays africains (28% des 193 membres de l’Onu) comptent quand il faut voter à l‘Assemblée générale de l’Onu. Toutefois, les résolutions de cette instance n’ont finalement qu’un poids moral et politique, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas juridiquement contraignantes, comme celles du Conseil de sécurité, organe exécutif chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationale, jalousement contrôlé par ses cinq membres permanents, vainqueurs de la deuxième guerre mondiale et par conséquent, détenteurs du droit de véto.
Depuis bientôt 80 ans, l’Afrique ne peut donc exercer une influence majeure sur les processus décisionnels mondiaux, l’ordre en vigueur ayant été conçu à l’origine par et pour les grandes puissances accrochées à leurs privilèges.
Il est temps, pensons-nous, que l’Afrique se réveille pour passer du statut de spectateur à celui d’acteur-clé du paysage mondial. Si elle veut se faire respecter et exercer une influence sur la marche de la planète, elle doit d’abord se battre pour grandir économiquement, politiquement et diplomatiquement en dépit des vents contraires. L’intégration, en août 2024, de l’Éthiopie et de l’Égypte au bloc des BRICS qu’avait déjà rejoint l’Afrique du Sud en 2010, ainsi que l’incorporation en 2023 de l’Union africaine (UA) au G20, montre que les lignes peuvent bouger.
Cette entrée de l’UA dans le groupe des économies les plus puissantes du monde est un espoir que les questions africaines seront davantage inscrites dans l’agenda international et que les intérêts du continent pourront être pris en compte lors des décisions importantes. Comme celles concernant la finance mondiale dont l’architecture est à réformer, le commerce international dont les mécanismes sont inéquitables, les changements climatiques auxquels il faut s’adapter en contraignant les grands pollueurs à financer les projets dédiés, etc. Toutefois, pour que cette dynamique positive se poursuive, l’Afrique doit s’unir, être en mesure de parler d’une voix pour ne plus être faible et malléable. Elle doit aussi, même en cas de statu quo dans les institutions multilatérales, pouvoir anticiper l’évolution du paysage au cours des décennies à venir et mettre sur pied une stratégie commune pour en tirer le plus grand profit. Un plan commun de rattrapage du retard criant dans différents domaines doit être adopté et exécuté, accordant la primauté à la conquête de la science, de la technologie et à l’industrialisation du continent.
Quant à l’UA, elle doit se réinventer, sous l’impulsion d’une nouvelle génération de leaders, défenseurs de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance politique et économique. Si nous sommes obsédés par cette vision, c’est possible.
Par Rousseau-Joël FOUTE