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Certains pourraient, en ce moment même, comploter pour manipuler la météo. Et ce n’est pas le pitch du prochain blockbuster d’Hollywood. Ni le dernier délire qui se propagerait sur X. Juste une réalité que des scientifiques ont décidé de regarder en face.
Un certain M. Burns qui construit un disque métallique géant pour cacher le soleil et forcer les habitants de Springfield à consommer plus d’électricité produite dans sa centrale. Cela vous dit quelque chose ? Un épisode des Simpsons que certains craignent de plus en plus voir devenir une réalité. Parce que d’autres sont de plus en plus nombreux à développer des solutions de géo-ingénierie solaire qu’ils envisagent comme des solutions à la crise climatique que nous avons provoqué. Les études, les rapports et les réunions scientifiques sur le sujet se multiplient. Mais peut-être plus dangereux encore, ceux qui pourraient travailler en sous-marin, financés par des États hostiles ou par des entrepreneurs ultrariches. Alors des scientifiques américains ont décidé de mettre en place un système d’alerte qui leur permettrait de détecter ces complots visant, en réalité, à manipuler la météo.
Manipuler la météo grâce à la géo-ingénierie solaire
Pour comprendre, il faut d’abord rappeler de quoi il est question plus exactement. « La géo-ingénierie, c’est ce que nous pourrions faire… si nous continuons à ne rien faire », badinait David Keith, un physicien de l’université de Harvard, il y a presque 20 ans de cela. L’idée : arrêter non pas le réchauffement climatique – en ramenant au net zéro nos émissions de gaz à effet de serre -, mais ses effets. En bloquant, par exemple, les rayonnements du soleil. C’est l’idée du « Solar radiation management » (SRM). Certains imaginent pour cela, par exemple, injecter des particules dans notre stratosphère. Cela pourrait permettre de faire baisser les températures sur Terre. Même si rien n’est encore sûr à ce sujet. Et les risques sont grands. Certaines populations pourraient ainsi voir leur climat et leur vie bouleversés. Les précipitations et la production agricole pourraient alors chuter dans certaines régions.
« Il est déraisonnable de prétendre que la géo-ingénierie est éthiquement acceptable, car nous modifions déjà le climat par la pollution, explique aujourd’hui David Keith sur X. Je suggère que nous apprenions plutôt à contrôler notre empreinte environnementale avant de nous lancer dans une gestion planétaire active. » L’ambiance a changé. L’heure n’est plus tout à fait à la légèreté.
Des projets de géo-ingénierie cachés ?
« Lorsque la communauté de la géo-ingénierie a commencé à se constituer, nous n’y avons pas prêté attention, nous expliquait Heïdi Sevestre, glaciologue, au cœur de l’été dernier. Mais ils disposent maintenant de financements quasi illimités et de fait, d’un pouvoir de lobbying politique immense. »
C’est ce qui inquiète aussi les scientifiques de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), de la Nasa ou encore du ministère de l’Énergie américain. Et c’est pourquoi, avec l’aide de collaborateurs dispersés partout dans le monde, ils ont imaginé un système d’alerte basé sur des lancements de ballons. Lâchés depuis le Colorado, l’Alaska, Hawaï, la Nouvelle-Zélande, La Réunion ou l’Antarctique, ils vont flotter pendant environ 3 heures à 27 kilomètres d’altitude pour mesurer la quantité, la nature et l’origine des aérosols présents dans la stratosphère. De quoi détecter, en principe, rapidement, toute expérience de SRM. « C’est parmi les projets de sciences stratosphériques les plus importants menés à l’heure actuelle dans le monde », n’hésite pas à déclarer au New York Times David Fahey, directeur du Laboratoire des sciences chimiques de la NOAA.
Déjà des particules libérées dans notre atmosphère pour bloquer le soleil
Notez qu’en mars dernier, des chercheurs de l’université de Harvard (États-Unis) – parmi lesquels David Keith – avaient, après de longs débats, renoncé à libérer des particules de carbonate de calcium, d’acide sulfurique et d’autres matériaux au-dessus du nord de la Suède. Finalement convaincus, peut-être, par les mises en garde des populations autochtones qui jugeaient la géo-ingénierie comme « une technologie qui comporte des risques de conséquences catastrophiques, notamment l’impact d’une extinction incontrôlée et des effets sociopolitiques irréversibles qui pourraient compromettre les efforts nécessaires du monde pour parvenir à des sociétés zéro carbone ». Et n’entrevoyaient « aucune raison acceptable pour permettre que ce genre de projet soit mené, en Suède ou ailleurs. »
Gernot Wagner, lui, l’ancien directeur exécutif du programme de recherche en géo-ingénierie solaire de Harvard, regrette la décision. Selon lui, elle ouvrirait la porte « aux acteurs irresponsables avec toutes sortes d’idées folles ». Alors que déjà, certains affirment avoir libéré du dioxyde de soufre dans la stratosphère. « Plusieurs grammes » pour la start-up Make Sunsets, soutenue par des investisseurs en capital-risque et même jusqu’à « environ 400 grammes » pour Andrew Lockley, un chercheur indépendant au Royaume-Uni.
Futura-Sciences