La plus ancienne chronique historique russe, la Chronique de Nestor ( XIIème siècle), narre sur le mode de la fable la façon dont la Russie s’est convertie au christianisme à la fin du Xème siècle.
Lisez plutôt.
En ce temps-là, au Xème siècle donc, les Russes étaient encore païens : aussi révéraient-ils un ensemble de dieux parmi lesquels Rod, le père des dieux, Péroun, le dieu du tonnerre, des éclairs et de la guerre et Volos, le dieu de la terre, des eaux et de l’au-delà…
Evidemment, être encore païen à la fin du Xème siècle, c’est un peu la honte… en fait, ça craint carrément car partout triomphe alors le monothéisme : le catholicisme en Europe occidentale, le christianisme orthodoxe dans l’Empire byzantin et au-delà, le judaïsme chez les nomades Khazar et l’Islam, de l’Asie centrale au Maghreb.
Qui plus est, les vrais Dieux semblent bien plus efficaces que les anciens : sans doute est-ce la raison pour laquelle les civilisations monothéistes sont aussi les plus brillantes et les plus riches (enfin, c’est surtout vrai pour Byzance et le monde de l’Islam). Ça, C’est un signe à prendre au sérieux, non ?
Du coup, Vladimir Beau Soleil, le prince de Kiev songe au grand saut qu’il doit faire avec son peuple. Il a compris – parce qu’il est plus intelligent que les autres sans quoi il ne serait pas chef – que les Russes doivent embrasser la Vraie Foi.
Le problème, c’est qu’il ne sait pas laquelle choisir !
C’est pourquoi, Vladimir – qui est aussi pragmatique qu’il est intelligent – décide d’envoyer des commissions enquêter sur les mérites respectifs des différentes religions entre lesquelles il hésite.
Aussitôt ses émissaires de retour en Russie, il les questionnent fébrilement.
La délégation qui revient du Dar al-Islam lui révèle tout de go que cette religion interdit la consommation d’alcool. Interloqué, Vladimir écarte l’Islam en déclarant que cette religion n’est pas faite pour son peuple car « la joie des Russes est dans le vin ». C’est dit.
Le catholicisme est plus près de la Vérité lui dit-on ensuite… mais ses prêtres sont tristes et gris et ses églises bien froides… bref, exit Rome et ses maigres moines tonsurés.
Vladimir se tord les mains. L’angoisse l’étreint. Saura-t-il guider son peuple vers la Vrai Foi ?
Heureusement, dernière à revenir en Russie, la délégation envoyée à Byzance rentre au pays avec des étoiles dans les yeux. Ses membres expliquent à Vladimir que – promis, juré ! – ils ont trouvé la religion qui convient aux Russes. En effet, dans les églises de Constantinople – la Miklagård des Varègues – ils ne savaient plus s’ils étaient sur la terre ou au ciel.
Ouf ! Vladimir respire enfin. Son choix est fait : les Russes embrasseront la foi chrétienne et suivront le rite grec.
Que penser de tout ça sinon que le récit que donne la Chronique de Nestor de cet évènement absolument centrale de l’Histoire et de la civilisation russe est aussi drôle… que faux.
La légèreté de la fable masque en effet bien mal les considérations géopolitiques qui ont en réalité dicté le choix de Vladimir : choisir le rite grec signifiait avant tout nouer une alliance avec Byzance dont l’Empire était alors à son apogée. Un choix déterminant tant la civilisation russe s’est nourri de la culture grecque. En témoigne par exemple l’architecture de ses églises et l’art ses peintres d’icônes.
Dans le fond, une religion, c’est aussi ça : un vecteur de softpower et un outil de géopolitique.