Des Canadiens d’origine algérienne, de passage dans leur pays natal, affirment avoir été longuement questionnés par les autorités sur leurs activités politiques. Certains, encore coincés là-bas, craignent de ne pouvoir revenir au Canada.
« Tu ne sais même pas pourquoi, tout est vague. Tout est flou dans l’attitude de l’agent qui est derrière, dans son box. »
Tout juste revenu à Montréal, Samir* est encore ébranlé par son séjour en Algérie. Il nous raconte son expérience sous le couvert de l’anonymat, car il craint les représailles envers sa famille.
Samir était à l’aéroport d’Alger et s’apprêtait à revenir au Canada lorsqu’il a été retenu très longtemps aux douanes par des agents, puis amené à plusieurs endroits pour être interrogé. Ces interrogatoires lui feront manquer son vol de retour.
Au cours des différents interrogatoires, on lui pose des questions sur sa vie, sa famille, mais aussi sur son militantisme au Canada.
« Ils ont posé des questions. C’est ça, sur le mouvement citoyen. Ils n’aiment pas que des Algériens manifestent à l’étranger. C’est clair et net. » — Une citation de Samir
Il a pris part aux manifestations des dernières années à Montréal pour soutenir le Hirak, le mouvement prodémocratique en Algérie.
Après plusieurs heures d’interrogatoire, il sera finalement relâché.
De retour au Canada, après le choc de cette expérience, c’est un sentiment d’indignation qui l’habite. Nous sommes des Canadiens et des Canadiennes. […] J’ai soutenu des peuples, j’ai signé des pétitions des peuples d’Asie. Pourquoi je ne soutiendrais pas le peuple algérien? Samir* ne s’en cache pas, il s’implique depuis des années au sein de la communauté algérienne à Montréal et a participé à de nombreuses manifestations, entre autres pour dénoncer l’oppression et la détention de prisonniers politiques en Algérie.
Deux autres Canado-Algériens nous ont rapporté avoir vécu le même scénario à l’aéroport d’Alger et avoir eux aussi été questionnés pendant des heures, entre autres, sur leur implication citoyenne à Montréal. Ces deux personnes affirment être incapables depuis de quitter l’Algérie.
L’une d’elles est Hadjira Belkacem. Elle est éducatrice dans une garderie en milieu familial et est fondatrice de l’Association de la sépulture musulmane au Québec. Son association offre un soutien financier et moral aux familles musulmanes québécoises qui perdent un proche.
Elle insiste pour nous parler à visage découvert.
Elle a été retenue une douzaine d’heures alors qu’elle s’apprêtait à prendre son vol de retour au Canada. Ils m’ont demandé, pour l’Association de la sépulture musulmane, comment ont fait les collectes, qui donne de l’argent. Ce genre de questions sur les finances, explique-t-elle.
Les enquêteurs lui indiquent qu’une plainte a été déposée contre elle et qu’on la soupçonne d’appartenir à un groupe terroriste et de le financer.
« Moi, j’ai dit que c’étaient des fausses informations, des mensonges. Il n’y a rien de véridique là-dedans. » — Une citation de Hadjira Belkacem
Après son interrogatoire, et malgré des demandes répétées auprès de plusieurs instances, personne ne lui confirme si elle peut ou non quitter le pays. Elle a depuis embauché un avocat en Algérie pour tenter d’avoir plus d’informations.
Hadjira Belkacem n’ose pas s’acheter de nouveau un billet d’avion, de peur d’être encore une fois bloquée aux douanes algériennes. Je suis allée à l’aéroport deux ou trois fois, je pense. […] La personne qui était à l’aéroport m’a dit : « Madame, il n’y a aucune garantie. Vous pouvez aller acheter votre billet, vous apprêter à embarquer et être refoulée. Il n’y a aucune garantie. »
Sabrina ( a vécu la même situation qu’Hadjira. Comme Samir, elle souhaite demeurer anonyme par crainte de représailles. Elle aussi a embauché un avocat pour tenter d’avoir une réponse des autorités algériennes : jusqu’ici, on ne lui dit pas clairement si elle peut ou non quitter l’Algérie.
Veut-on faire taire la diaspora algérienne?
En février dernier, un Canadien d’origine algérienne, Lazhar Zouaïmia, a été emprisonné en Algérie, accusé de terrorisme, mais sa famille soutient qu’il paie le prix de son implication citoyenne à Montréal.
Il a été libéré le 30 mars dernier. Le matin du 9 avril, M. Zouaïmia a été empêché par les autorités algériennes à l’aéroport d’Alger de prendre son vol vers Montréal. Ses avocats avaient pourtant été avisés qu’il ne faisait pas l’objet d’une interdiction de sortie du territoire algérien.
Selon Francesco Cavatorta, professeur de science politique à l’Université Laval et directeur du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient, ce genre de récit n’est pas nouveau ni surprenant. Essayer de voir ce que les diasporas d’ailleurs font quand ils se trouvent à l’étranger, c’est normal pour la grande majorité des pays autoritaires. Ils ont besoin d’assurer la stabilité du régime, explique-t-il.
Interpeller ou déranger de manière aléatoire des personnes qui ne sont pas des activistes par profession est une bonne stratégie [pour le régime], poursuit-il. Justement parce qu’elle est aléatoire, donc tu ne sais jamais si ça va être ton tour d’être interpellé quand tu rentres.
« C’est une bonne stratégie pour assurer que les gens ne s’impliquent pas du tout. » — Une citation de Francesco Cavatorta, professeur de science politique à l’Université Laval
Selon lui, le poids des différentes diasporas a pris de l’ampleur au cours des dernières années, entre autres grâce aux médias sociaux. L’augmentation des régimes autoritaires ou semi-autoritaires dans les 20 dernières années a fait en sorte que maintenant, souligne-t-il, il y a plus d’intérêt global pour ceux qui sont à l’étranger.
Une Canado-Algérienne vivant à Montréal nous confirme aussi ce sentiment au sein de la communauté algéro-canadienne. Le cas Lazhar Zouaïmia, c’est un précédent très très grave, parce qu’on se dit […] si lui, ils l’arrêtent, pourquoi pas nous? C’est plus que de la peur. Les gens sont terrorisés, soutient-elle.
Selon elle, plusieurs craignent des représailles au point d’annuler des voyages prévus dans les prochains mois en Algérie. Tous ceux qui sont autour de moi et qui continuent à militer dans le cadre du Hirak ont annulé leur billet, avoue-t-elle.
Affaires mondiales Canada dit être au courant que quelques Canadiens seraient ou auraient été détenus en Algérie, ou encore auraient été interrogés avant de quitter le pays, sans toutefois révéler le nombre de personnes dans cette situation.
L’ambassade algérienne à Ottawa et le consulat algérien à Montréal n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevues.
RADIO CANADA