Mali:”On applaudit quand la France se retire, mais on l’applaudit aussi lorsqu’elle neutralise des terroristes” , affirme Ibrahima Maiga

Depuis l’engagement de la France en 2013, jamais le ton n’était monté aussi haut entre Paris et Bamako. Temps fort de cette crise ouverte, les propos tenus par le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga. Qualifiant d'”abandon en plein vol” le plan français de réduction de sa présence au Mali, sa diatribe onusienne a aussitôt provoqué la réaction du président français qui déclarait “démocratiquement nulle” la légitimité du gouvernement malien. Quels sont les risques de telles tensions diplomatiques entre Paris et Bamako ? Quelles solutions pour ramener la stabilité au Mali ? Eléments de réponse avec l’analyste sur les questions de sécurité au Sahel, Ibrahim Maïga avec la télévision TV5 Monde

TV5MONDE : “Le Mali et la France constituent un vieux couple”. Ce sont les mots tenus par le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, après une montée des tensions entre Paris et Bamako. Il a également affirmé ne pas craindre de divorce entre les deux pays. En êtes-vous également convaincu ?

Ibrahim Maïga : Il n’y a aucune certitude à avoir. Cela étant dit, il ne faut pas oublier que le Mali et la France ont des intérêts communs très forts. Aujourd’hui la France, autant que le Mali, a intérêt à ce que la situation soit plus ou moins maîtrisée.

Il est vrai qu’il existe une véritable lame de fond au Mali quant à l’intervention occidentale et en particulier française. Les Maliens s’interrogent sur la capacité des militaires français à intervenir au Mali et sur l’adéquation de cette intervention avec les défis auxquels le pays est confronté. Cette interrogation, voir cette suspicion remonte à bien longtemps. Les premiers questionnements datent de 2014/2015, lorsque les Maliens ont constaté une détérioration progressive de la sécurité dans leur pays.

TV5MONDE : Cette détérioration de la sécurité dont vous parlez, remet-elle, selon vous, en question l’Accord d’Alger signé en 2015 ? (également appelé Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, l’Accord d’Alger vise à mettre fin à la guerre au Mali, NDLR).

Ibrahim Maïga : Il y a en effet matière à interroger toute la stratégie de stabilisation de la France mais aussi de tous les autres partenaires internationaux présents au Mali depuis huit ans. Il faut interroger le mandat de la MINUSMA, la posture des casques bleus des Nations unies, leur rôle dans ce dispositif. Il faut évidemment interroger la posture et l’intervention française mais il faut aussi interroger d’autres types de mécanismes comme, en effet, l’Accord pour la paix et la réconciliation. Pour autant, je ne suis pas convaincu qu’il faille se débarrasser de tout ce qui a été construit. Ces fragiles acquis doivent, certes, être interrogés mais il faut surtout chercher à les renforcer pour que la stabilité revienne dans ce pays.

TV5MONDE : Vous parlez d'”acquis fragiles”. Qu’est-ce qui fait que Barkhane n’a pas pleinement rempli ses engagements ?

Ibrahim Maïga : Il est un peu simple d’évaluer l’échec ou le succès de Barkhane à l’aune de la stabilité du Mali. Le rôle de Barkhane n’est pas de stabiliser le pays. Son rôle est de lutter contre les groupes jugés dangereux, problématiques pour la stabilité et qui menacent la cohésion et la paix au Mali. C’est une des dimensions de la crise. Barkhane à elle seule, ne peut pas ramener la paix. Je pense qu’il faut le dire et l’assumer avec force : Barkhane est un outil dans le dispositif, mais elle n’est pas le seul pour aboutir à la paix et la stabilité.

Concernant les erreurs qui ont été commises par Barkhane, c’est peut-être d’avoir fondé trop d’espoirs dans ce dispositif et de ne pas avoir su s’adapter à l’évolution de la menace. Entre 2013 et 2014, nous avons assisté à une sorte de guérilla sur le terrain. Il n’y avait plus, comme c’était le cas en 2012, de groupes armés qui contrôlaient des pans entiers de territoires. A partir de 2013 et la fin de l’opération Serval, des groupuscules se sont dispersés dans le pays, jusqu’aux pays voisins, (Niger, Burkina Faso NDLR). Ils y ont mené des attaques fulgurantes et c’est ce qui a posé un problème, non seulement à Barkhane, mais également à l’armée malienne.

Ce dont on se rend compte aujourd’hui, c’est que la solution militaire à elle seule, n’est pas suffisante. Si les efforts de stabilisation se concentrent uniquement sur la solution militaire, ils ne peuvent donner que des résultats mitigés. La solution pour amener la paix et la stabilité au Mali, est à chercher ailleurs.

TV5MONDE : Où par exemple ?

Ibrahim Maïga : Nous avons besoin d’un retour de l’État dans ce pays.
Malheureusement, lorsqu’une opération militaire prend fin, l’administration ne suit pas toujours et donc il y a un vide qui peut vite être réoccupé par des bandits aux motivations obscures. Il y a un réel travail et une réelle réflexion à mener sur l’État qui doit revenir dans ces espaces. Sa nature, sa forme et les principes qui doivent guider son action sur le terrain.

Je pense également qu’il y a lieu d’explorer une piste qui, à mon avis, est insuffisamment explorée et dont pourtant les maliens parlent depuis quelques années : la question du dialogue. Dialoguer avec les groupes armés politiques, ce qui est en cours avec l’Accord pour la paix et la réconciliation, mais aussi avec les groupes armés qualifiés de djihadistes. Je pense que c’est une possibilité qui a été insuffisamment explorée par les autorités, aussi parce qu’elles se retrouvent malheureusement freinées dans leur élan par les partenaires internationaux, en particulier par la France, qui ne semblent pas favorables à cette option. On le dit beaucoup au Mali et au Sahel, le dialogue est un moyen très puissant de résolution des conflits, on le voit à travers les habitudes, à travers la façon dont les institutions formelles et non-formelles fonctionnent.

Cette reconquête militaire, passera par une montée en puissance véritable de l’armée malienne et un renforcement des capacités nationales

Ibrahim Maïga,analyste sur les questions de sécurité au Sahel

Tout cela sans compter sur ce qui doit être mis en place pour rétablir la confiance entre les gouvernants et les gouvernés qui passe aussi par la lutte contre l’impunité. L’impunité n’est pas la cause de l’insécurité mais elle est la cause de sa persistance et de son acuité dans cette zone.

TV5MONDE : Dans ce contexte diplomatique particulièrement tendu, 16 soldats militaires maliens ont été tués, 9 autres blessés dans une attaque djihadistes présumée dans le centre du Mali. Cette mésentente entre les deux pays risque-t-elle de dégrader davantage la situation sécuritaire au Mali ?

Ibrahim Maïga : Il est certain que cette mésentente continue de détourner le regard des véritables enjeux : comment regagner les territoires perdus ou comment renforcer l’armée malienne pour qu’elle joue son rôle d’acteur principal ? Il ne faut pas oublier que cette reconquête, y compris militaire, passera par une montée en puissance véritable de l’armée malienne et un renforcement des capacités nationales. Les partenaires internationaux comme Barkhane ne peuvent être que des appuis à cette ambition, qui doit être d’abord nationale et malienne.

Cette situation peut en effet paraître schizophrénique : d’un côté on applaudit quand la France se retire, mais on l’applaudit aussi lorsqu’elle neutralise des terroristes

Ibrahim Maïga,analyste sur les questions de sécurité au Sahel

Une brouille avec la France qui est un partenaire stratégique important dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et en particulier au Mali, pourrait non seulement laisser de la place aux groupes terroristes mais aussi fragiliser l’entente et la collaboration qui pourrait exister entre les différentes forces sur le terrain.

Elle peut également renforcer la détermination des groupes armés terroristes sur le terrain qui pourraient légitimement penser qu’en se retirant, la France laisse le Mali totalement seul face à ces groupes.

TV5MONDE : Le sommet Afrique-France s’est tenu à Montpellier ce vendredi 8 octobre. Emmanuel Macron y a rencontré des jeunes du continent. La plupart sont favorables au départ des troupes françaises. Le même jour pourtant, Paris a annoncé avoir tué, au Mali, un cadre “important” au sein d’un groupe djihadistes spécialisé dans la pose de mines artisanales. N’est-ce pas paradoxal ?

Ibrahim Maïga : Cette situation peut, en effet, paraître schizophrénique : d’un côté on applaudit quand la France se retire, mais on l’applaudit aussi lorsqu’elle neutralise des terroristes. Cela est lié à la situation actuelle. Les gens sont conscients que les États ne sont pas en capacité de faire face, seuls, à la menace transnationale. Ils sont donc obligés d’être prudents dans leur approche, notamment en demandant un retrait qui soit progressif. Malheureusement, ces sept, huit dernières années de Barkhane ne se sont pas accompagnées d’un renforcement des capacités nationales. Dans ce cas, la responsabilité est partagée. Il y a une responsabilité sahélienne et il y a une responsabilité des partenaires internationaux. Le retrait de Barkhane, s’il ne s’accompagne pas d’une montée en puissance véritable des capacités nationales, il est clair que le vide que laissera la France pourrait profiter à des groupes terroristes qui sont à l’affut de la moindre occasion pour reprendre les espaces perdus à la faveur de l’opération Serval.

Cependant, je ne pense pas que ce soit une contradiction profonde. Je crois que ce que les gens attendent aujourd’hui, c’est que le pays se prenne réellement en main, qu’il renforce et explore ses capacités militaires et qu’ils explorent aussi des solutions sur lesquelles ils ont parfois beaucoup d’expérience et beaucoup de capacités endogènes.

TV5MONDE : Le Mali semble se rapprocher de nouveaux alliés, c’est le cas notamment avec les mercenaires Wagner. La France voit d’ailleurs cela d’un très mauvais œil. Quels sont les risques et les conséquences d’un virage malien vers la Russie ? Qu’est-ce que Wagner peut apporter de plus que Barkhane ?

Ibrahim Maïga : Le problème c’est qu’on ne change pas foncièrement de stratégie, on change juste d’acteur. Certains, au sein de la population au Mali et probablement au sein de l’élite qui dirige le pays aujourd’hui, pensent qu’en changeant d’acteurs, on change les règles du jeu. Or, ce qui est remis en cause aujourd’hui, c’est l’approche elle-même, ce ne sont pas uniquement les acteurs.

L’action militaire doit être au service de l’action politique et pourtant , on voit bien que c’est l’inverse qui se produit

Ibrahim Maïga,analyste sur les questions de sécurité au Sahel

Est-ce que Wagner peut réussir là où Barkhane a échoué ? C’est difficile à dire puisqu’on voit bien que l’option militaire doit se reposer sur une connaissance des dynamiques locales, c’est un fondement de l’action militaire pour sa réussite. La France a une connaissance particulière de la région, plus qu’une entreprise privée russe. C’est un fait indéniable, il est donc difficile de penser que Wagner pourrait réussir sur le plan militaire, là où Barkhane semble avoir échoué. D’autant plus que l’expérience à travers le monde de cette organisation montre qu’elle fait fi de toutes règles, ce qui participe à l’embrasement sur le terrain, plutôt que l’apaisement.

On peut être dubitatif quant à un changement d’acteurs, Wagner contre Barkhane. Je ne suis pas sûr qu’il faille aller dans ce sens, il faut au contraire redéfinir la stratégie de stabilisation, l’approche qui est prônée jusqu’à aujourd’hui. Surtout, l’action militaire doit être au service de l’action politique. C’est un élément qui me semble important et pourtant l’on voit bien que c’est l’inverse qui se produit. On voit la stratégie militaire mais on voit très peu apparaître la stratégie politique. Si on prend l’accord pour la Paix et la réconciliation on se rend bien compte d’un piétinement de la mise en œuvre de cet accord

TV5 Monde

Komla
Komla

Je me nomme AKPANRI Komla, historien de formation, arbitre fédéral. Le journalisme est une passion pour moi plus précisément le journalisme sportif puisque je suis un sportif. Ayant fait une formation en histoire, j'aborde aussi des questions politiques, sociales et culturelles

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