Cameroun : Samuel Eto’o, président de la République ?

Propulsé à la tête de la Fecafoot en décembre, l’ancien attaquant star du Barça prend soin de n’afficher aucune ambition autre que

Propulsé à la tête de la Fecafoot en décembre, l’ancien attaquant star du Barça prend soin de n’afficher aucune ambition autre que footballistique. Mais à Yaoundé, on le soupçonne de se rêver un destin à la George Weah et de lorgner la succession de Paul Biya.

Minuit à Douala. À la sortie d’un restaurant de Bonapriso, un quartier pavillonnaire huppé de la capitale économique, on n’entend plus que des « Eto’o, président ! » L’ancienne star du football est assaillie par plusieurs dizaines de personnes, smartphone à la main.

En tenue de soirée ou en chemise bigarrée, gardien de nuit en uniforme ou ménagère sortie des pavillons attenants, chacun exige selfie et dédicace. Samuel Eto’o était pourtant arrivé discrètement, au volant d’une voiture ordinaire, avec masque anti-Covid et coiffé d’une casquette. Mais ses efforts pour passer inaperçu sont vains.

L’ancien attaquant du Barça se serait-il rendu dans un quartier populaire que la ferveur aurait été encore plus forte. Lors de l’élection à la tête de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), le 11 décembre, les autorités avaient même craint des troubles à l’ordre public en cas de défaite. Son succès a annihilé les risques d’émeutes et accru la popularité du « président ».

Depuis son agenda est intenable. Le 16 février, il était à Limbé (Sud-Ouest), où la Fecafoot avait délocalisé une session de son comité exécutif, et la royauté traditionnelle locale en a profité pour l’anoblir. Quelques jours plus tard, il s’envolait pour le Bénin. Partout, Eto’o est traité avec tous les égards. Il plaît aux femmes avec sa silhouette de quadra à peine plus arrondie qu’au temps où il prenait de vitesse les défenseurs adverses, avec son sourire à la fois innocent et espiègle, avec son style chic décontracté.

Selon la sociographie des électeurs réalisée par l’agence de conseil en marketing Ascèse, basée à Douala, qui l’a accompagné lors de sa conquête de la Fecafoot, il fait la fierté de plusieurs générations d’hommes, séduits par le lustre de sa carrière de footballeur international. Ceux-ci lui savent gré d’avoir amélioré l’image du Cameroun à l’international.

Au lieu de couler des jours tranquilles de jeune retraité à Milan, où vivent sa femme, Georgette, et leurs enfants, l’ex-footballeur le mieux payé au monde a pris le risque de relever le pari de ressusciter la pratique du sport le plus populaire de son pays, qui se mourrait des querelles de ses dirigeants et de la corruption endémique.

Retourner au Cameroun, pour celui qui a passé trente ans de sa vie hors du pays, était en soi un virage compliqué à négocier. Il lui a d’abord fallu s’imposer à la tête d’une fédération acquise au Grand-Nord depuis près de deux décennies, et dont Mohammed Iya, l’ancien président condamné pour détournement de fonds, continuait – depuis la prison – à tirer les ficelles. Il lui a fallu aussi composer avec l’animosité d’Issa Hayatou, baron de Garoua et ancien président de la Confédération africaine de football (CAF), auquel Eto’o avait eu l’impudence de préférer Ahmad Ahmad.

Samuel Eto’o a dû enfin surmonter l’hostilité de plusieurs barons du pouvoir, partisans affichés du président sortant. Parmi eux, l’impétueux ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, et son collègue chargé du Travail, Grégoire Owona, qui est également secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Narcisse Mouelle Kombi, ministre des Sports, et Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil du chef de l’État, n’étaient pas mieux disposés à son égard et ne se sont pas privés de le faire savoir.

Désormais à la tête de cette Fecafoot que le soutien des clubs et du Syndicat national des footballeurs camerounais (Synafoc, emmené par Geremi Njitap) l’a aidé à conquérir, Eto’o a déménagé début mars de la suite qu’il occupait à l’année au 10e étage de l’hôtel Hilton de Yaoundé pour s’installer derrière les hauts murs d’un complexe immobilier de Bastos, le quartier diplomatique de la capitale. Couche-tard et lève-tôt, pendu au téléphone ou courant toujours d’un rendez-vous à l’autre, Eto’o, selon ses proches, ne dort que quelques heures par nuit.

Dans le quartier de Tsinga, où la Fecafoot a établi son QG, Samuel Eto’o partage provisoirement le bureau du secrétaire général, jugé plus accueillant que la pièce où travaillait son prédécesseur, Seidou Mbombo Njoya. Il n’a d’ailleurs pas renoncé à faire déménager la fédération : l’immeuble – délabré – n’est pas à l’image de son projet. En fin de semaine, il prend un vol commercial pour Douala, « sa » ville, où il réserve ses dîners à sa mère, Christine, une femme réputée autoritaire qu’il surnomme « le Général ». Il parle longuement, aussi, avec son père, David, alité depuis plusieurs années et qu’il promène en fauteuil roulant pour lui faire profiter du soleil, avant de l’emmener déjeuner au restaurant.

Dimanche soir, retour à Yaoundé. Parfois, quand il n’y a pas d’avion ou quand l’envie lui prend, il saute au volant de l’un de ses bolides, avec une petite préférence pour son Range Rover ou son Land Cruiser. Amateur de vitesse mais ayant une phobie des accidents, il préfère prendre le volant lui-même pour avaler les 238 kilomètres qui séparent les deux villes. De retour à Yaoundé, il retrouve « Tonton Yoyo », ce père de substitution, en réalité un « grand frère » de bidonville qui prit le gamin de New Bell par la main pour lui éviter les mauvaises fréquentations conduisant à la prison centrale voisine. Ce tuteur des jours sans pain n’a plus jamais quitté son pupille. Aujourd’hui encore, Eto’o écoute son mentor et lui témoigne sa reconnaissance dès que l’occasion se présente. « Il me soutient toujours et ne me juge jamais », reconnaît-il volontiers.

Grand voyageur, Eto’o l’est aussi à cause de ses nombreux engagements internationaux. En tant qu’ambassadeur de la Coupe du monde 2022 au Qatar, il doit séjourner à Doha au moins une fois par mois. À cet engagement contractuel avantageusement rémunéré, il faut ajouter plusieurs contrats avec divers annonceurs. Même à la retraite, l’ex-footballeur continue d’engranger de confortables revenus.

Eto’o aime le Cameroun, mais le connaît-il vraiment ? Le nouveau président de la Fecafoot va vite se rendre compte que les gens d’en haut ne le regardent pas tout à fait de la même façon que ceux d’en bas. Son élection a sonné comme une revanche face à une élite qui le prend volontiers de haut. Derrière les doutes sur ses capacités managériales et son déficit d’expérience, le mépris de classe.

À Yaoundé, la vieille garde organise la résistance, car si elle appréciait la star du FC Barcelone, elle se méfie de l’ovni qui vient de faire irruption sur le devant de la scène. Elle le sait proche du couple présidentiel et n’ignore pas qu’il bénéficie de la neutralité bienveillante du puissant secrétaire général à la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. Elle sait qu’il dispose de relais de poids dans les milieux économiques : Samuel Eto’o est un familier de Célestin Tawamba, le chef du patronat camerounais, qu’il voit souvent, autant que de l’homme d’affaires Baba Danpullo, qui est aujourd’hui encore l’un des plus grand financiers du RDPC. Il est aussi l’une des rares personnalités qu’Emmanuel de Tailly, directeur général de la Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC), aime à recevoir chez lui à dîner.

Mais son arrivée dérange. Eto’o le sait et fait profil bas. Il a adopté les codes de la politique locale, qui veut que la discrétion soit une vertu, et réduit ses déplacements en avion privé. Il ne sort pratiquement plus le soir en ville. Certes, il a fait venir de Milan sa voiture préférée, une Aston Martin gris métal, mais il la bichonne plus qu’il ne la conduit.

Sa fortune, acquise loin des combines de la bourgeoisie politique, administrative et commerçante camerounaise, est l’un des ressorts de sa popularité. Alors que le petit peuple cultive le soupçon à l’égard de l’argent des riches, Eto’o a brisé un tabou et s’est affranchi des catégories. Et ceux qui scandent « Eto’o, président » ne sont pas très différents de ceux qui ont porté George Weah des terrains de football à la présidence du Liberia. « Parce qu’il est déjà riche, lui au moins ne volera pas l’argent de l’État », voulait-on croire à Monrovia.

Pour l’instant, Eto’o incarne encore une réussite « propre ». Mieux, il redistribue, à en croire l’une de ses conseillères. « Nous arrivions fin janvier à la Fecafoot pour une conférence de presse, raconte-t-elle. Des gens attendaient depuis des heures devant les bureaux, tenus à distance par la sécurité. Malgré tout, Eto’o est descendu du véhicule et est allé à les écouter et leur parler. Puis il est revenu dans sa voiture prendre de l’argent, qu’il a distribué. Oubliant qu’en donnant en public il envoyait un signal en forme d’appel d’air. » Depuis, les sollicitations pleuvent de toutes parts.

Au bénéfice des joueurs, le nouveau patron de la Fecafoot vient d’engager des dépenses inédites. Alors que le championnat a repris en mars, après une année d’interruption, il a décidé que la fédération prendrait à sa charge la restauration et l’hébergement des 25 équipes participantes. Déjà le 25 janvier, la fédération avait payé une avance de 12 millions de F CFA (sur les 20 prévus) à chaque président de club de la MTN Elite One. La somme, passée du simple au double, est destinée au paiement des salaires des joueurs, alors que, ces dernières années, ceux-ci étaient pratiquement tombés dans la pauvreté. Au Liberia, George Weah avait lui aussi fait campagne sur le partage des richesses…

Assiste-t-on passage du dirigeant sportif à l’Homo politicus ? L’intéressé s’en défend. « Mon seul objectif est de relever notre football. Je n’ai aucune ambition autre que celle-là », martèle-t-il. Ses détracteurs n’en croient rien. Quel serait le plan ? Démontrer par sa réussite les bienfaits de la valeur travail et de la promotion par le mérite porte, en soi, les germes d’une révolution. La promotion de Rigobert Song à la tête des Lions indomptables rentre dans le droit fil du projet : Eto’o a choisi le recordman des sélections (147), un défenseur besogneux mais intelligent, ayant la rage de vaincre chevillée au corps.

Mais de là à accéder à Etoudi, la marche paraît tout de même haute pour l’enfant des bidonvilles de Douala. Certes, sa grande popularité lui ouvre le champ des possibles, mais elle ne fait pas une élection. Pelé, le plus grand footballeur de tous les temps, ministre brésilien des Sports entre 1995 et 1999, n’a jamais eu d’appétit pour le pouvoir suprême. Eto’o en a-t-il envie ? Il n’en montre pas le moindre signe. Nous l’avons rencontré, mais il n’a pas souhaité s’exprimer officiellement. Comme cette classe politique qui a appris à se taire, à marcher au pas, à se persuader de la sagesse et de la perspicacité du président, et surtout à ne jamais évoquer l’après-Biya.

Une prudence que résume un épisode : le 7 janvier, dans les coursives du stade d’Olembe, quelques minutes avant le match d’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), son ami Fally Ipupa s’apprête à monter sur scène lorsqu’il comprend que le protocole d’État a fait disparaître le nom d’Eto’o des articulations de la cérémonie. Même le président de la CAF, Patrice Motsepe, a eu soin de ne pas mentionner l’ancien attaquant dans son discours pour éviter un concours d’applaudimètre avec Paul Biya. Le Congolais lui annonce donc son intention de le citer sur la scène. « Non, lui répond le footballeur. Il n’y a qu’un seul président et il est au stade en ce moment. »

Jeune Afrique

Komla
Komla

Je me nomme AKPANRI Komla, historien de formation, arbitre fédéral. Le journalisme est une passion pour moi plus précisément le journalisme sportif puisque je suis un sportif. Ayant fait une formation en histoire, j'aborde aussi des questions politiques, sociales et culturelles

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