En Centrafrique, la contre-offensive menée par les forces alliées centrafricaines (Faca) avec leur allié bilatéral russe a permis de reprendre une majorité des grandes villes du pays. Mais cette contre-offensive est accompagnée de nombreuses questions – notamment celle des exactions commises contre les populations civiles.
Plusieurs incidents, dont un à la frontière avec le Tchad, ont tendu les relations avec le voisin Ndjamena. Des relations diplomatiques qui se sont aussi tendues avec la France. Sylvie Baipo-Temon, la ministre des Affaires étrangères centrafricaine, est notre invitée. Elle revient sur ces questions avec Charlotte Cosset.
RFI : Des altercations ont eu lieu avec votre voisin tchadien fin mai, vous vous êtes rendue à Ndjamena et vous y avez rencontré le président de transition. Qu’est-ce qui est ressorti de votre échange ?
Sylvie Baipo-Temon : Le message qui en ressort, c’est que les deux présidents ont la ferme volonté de travailler ensemble et de trouver une solution à ces tensions qui pullulent à la frontière commune.
Bangui dénonce régulièrement le soutien du Tchad dans les rébellions. Est-ce que c’est un sujet que vous avez abordé ?
Non, là, c’était vraiment un message lié à cet incident, mais de manière implicite effectivement, parce qu’il y a souvent des interprétations, des malentendus. Je rappelle que les frontières sont certes là, mais nous ne sommes qu’un seul peuple. Et vraiment lors de cette rencontre qui fait suite à un échange téléphonique entre les deux présidents, j’ai été satisfaite des propos du président du conseil militaire et de transition qui d’ailleurs a réitéré les propos qu’il a eu à échanger à Abuja.
Les deux présidents s’étaient rencontrés dans le cadre de la commission du bassin du lac Tchad et ils ont acté ensemble de conserver un dialogue, un échange constructif pour trouver une solution aux crises qui minent tant la République du Tchad que la République centrafricaine.
Les relations se sont aussi tendues avec la France, ce qui a conduit à la suspension d’une partie de son aide budgétaire à la Centrafrique. Elle a laissé entendre qu’elle attendait un geste de la part des autorités centrafricaines. Êtes-vous prêtes à tendre la main ?
La main est tendue. Elle est d’autant plus tendue que comme dans le cas du voisin du Tchad il y a beaucoup de malentendus, d’interprétations. Nous avons passé des périodes difficiles. Il est important que nous communiquions ensemble et que nous travaillions surtout ensemble, pour améliorer l’état de notre coopération. La République centrafricaine est totalement consciente que la République française reste et est un partenaire traditionnel et un partenaire privilégié.
La France dénonce notamment les campagnes agressives, des campagnes de dénigrements. Est-ce que vous comptez prendre des mesures ?
Vous savez que des mesures ont été prises et continuent à être mises en place pour sanctionner. Nous avons proposé à plusieurs reprises d’avoir une communication qui soit beaucoup plus adaptée. Il faut justement montrer que nous savons travailler ensemble et que malgré certaines turbulences, nous faisons front commun.
Les personnalités impliquées dans cette désinformation sont connues. Le rapport des experts des Nations unies pointe certaines d’entre elles, comme Didacien Kossimatchi, qui est dans l’entourage même du président…
Il faut sanctionner ce qui est à sanctionner. Je voudrais dire aussi que la République centrafricaine est un pays qui dans cette phase de crise a vu s’exprimer beaucoup de personnes. Le fait d’être dans l’entourage, l’entourage du gouvernement, l’entourage de la présidence, ne veut pas dire que l’on partage les mêmes informations [point de vue, NDLR].
Vous avez des personnes qui n’adhèrent peut-être pas à cette politique de main tendue du président de la République et du gouvernement et qui vont à contre-courant mettant à mal tous les efforts que le gouvernement mène. Il faut rester concentrer. C’est aussi une volonté de nous divertir, de nous emmener loin de l’essentiel.
La France est un partenaire de la Centrafrique, mais d’autres aujourd’hui se questionnent aussi sur leurs investissements. Craignez-vous la suspension d’aides des autres partenaires ?
La République centrafricaine a fait beaucoup d’efforts, il y a eu beaucoup d’avancées avec le soutien des partenaires, il serait injuste de lâcher maintenant, il est important de ne pas donner raison à tous ceux qui justement jouent de la désinformation, jouent de la haine. Parce que c’est le résultat recherché. La population centrafricaine ne mérite pas cela.
Parmi les questions des bailleurs, l’accord passé dans le secteur des douanes par la République centrafricaine avec la Russie.
Il s’agit de former… En République centrafricaine, il y a aussi un vrai sujet de niveau de qualification. Quand vous voyez le résultat des initiatives qui ont été menées au niveau de la douane, ils sont sans appel. Et l’objectif, en tout cas moi en ce qui me concerne, c’est de mobiliser l’ensemble des partenaires pour que ces expertises convergent et fassent une synergie positive et impactante pour que l’on réussisse l’objectif commun qui est de relever la République centrafricaine. J’appelle les bailleurs à soutenir la Centrafrique, à ne pas relâcher les efforts maintenant.
De nombreux rapports ont été publiés ces dernières semaines concernant les exactions commises sur le territoire centrafricain par les groupes armés de la Coalition pour le changement (CPC), mais aussi par les paramilitaires russes qui aident l’armée centrafricaine dans la contre-offensive. La Centrafrique est-elle prête à mener des enquêtes à ce sujet ?
La Centrafrique est prête. Dès qu’elle a eu connaissance du premier rapport qui a été notifié, une commission d’enquête a été mise en place. C’est encore en cours et comme l’a dit le président de la République, les cas avérés seront sanctionnés. On a affaire à une population centrafricaine qui est traumatisée. Depuis son indépendance, elle ne vit que de crise en crise et il ne faut pas que l’on soit dans une répétition d’une population qui est assassinée, violée ou autre, par ceux-là mêmes qui viennent la sauver.
Mais il faut être impartial. Il y a aussi des plaintes d’abus sexuels de la Minusca. Celles-ci aussi doivent faire l’objet de cette enquête. Il faut que, quels que soient les acteurs, si des cas sont avérés, ils doivent être sanctionnés. Quand vous regardez sur les médias, on dirait que la CPC n’a rien fait. Les alliés et les forces centrafricaines qui ont de manière très patriotique pris le dessus de la CPC pour sauvegarder l’essentiel, aujourd’hui on a l’impression que ceux-là mêmes qui ont assuré cette mission régalienne de sécurisation de la population sont ceux-là qui souillent encore la même population. Ce qui est assez invraisemblable.
Et durant cette période, la CPC a commis énormément [d’exactions] et d’ailleurs le rapport dit bien qu’il y a eu beaucoup plus de violations, sans mettre en avant la CPC. Et je pense que l’idéal dans le combat que l’on mène aujourd’hui, c’est que l’on soit tous unis pour l’éradication des groupes armés en République centrafricaine afin que les populations reviennent à un niveau de quiétude qui soit a minima correct.